Bolivie 6/7 : Cochabamba

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A. La ville de Cochabamba
Cochabamba est la capitale du département de Cochabamba (un des 9 départements du pays) et de la province de Cercado (une des 16 provinces du département). Le département de Cochabamba est situé au centre du pays et est le seul à ne pas toucher un Etat voisin (Située à 250 km (400 km par la route) au sud-est de La Paz, sa population est d’un million d’habitants, ce qui en fait la troisième ville du pays.
Fondée au 16è siècle par les espagnols, Cochabamba est donc considérée comme la « capitale quechua » de la Bolivie, l’ethnie Quecua étant par ailleurs le groupe le plus important qui peuplait l’empire Inca qui s’étendait de l’Équateur à l’Argentine. Située à 2 600 mètres, dans les vallées de la cordillère des Andes, Cochabamba fait la transition entre la Bolivie des hauts-plateaux et celle de l’Amazonie.
Cochabamba est le siège de l’UNASUR. Le traité constitutif de l’Union des Nations Sud-Américaines (UNASUR) a été signé le 23 mai 2008 à Brasilia à l’occasion du Troisième Sommet des chefs d’État. La création de l’UNASUR s’est faite en réaction au projet de la zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) lancé par George Bush et à l’ingérence nord-américaine dans les affaires politiques et économiques latino-américaines que la ZLEA représentait. L’UNASUR visait également à contourner l’Organisation des États américains (OEA) à laquelle les États-Unis appartiennent. L’UNASUR compte douze membres : Colombie, Equateur, Pérou, Bolivie, Argentine, Paraguay, Uruguay, Brésil, Vénézuela, Chili, Guyana, Surinam.
C’est à Cochabamba qu’un grand mouvement populaire avait fait échouer en février 2000 la privatisation de l’eau à travers une concession pour 40 ans consentie à Aguas de Turani, un consortium mené par la multinationale américaine Bechtel. La révolte populaire (3 jours d’affrontements violents entre la police et les manifestants, qui entraînèrent la mort d’un jeune homme de 17 ans) a fait de cette ville bolivienne le symbole mondial de la lutte contre les multinationales et la logique de marchandisation des services sociaux.

B. Conférence Mondiale contre le Changement Climatique
C’est également à Cochabamba que s’est déroulée, du 19 au 22 avril 2010, la conférence mondiale des peuples pour les droits de la Terre Mère et contre le changement climatique, à laquelle 35 000 participants provenant de 147 pays ont participé.
Due à l’initiative d’Evo Morales, cette conférence avait pour but, face à l’échec du sommet de Copenhague, de proposer des solutions aux conséquences sur l’environnement du système productif actuel. L’idée de la conférence de Cochabamba était de donner la parole aux PVD (pays dits « en développement ») et d’élaborer avec eux des solutions aux changements climatiques. Ce sont en effet ces pays dont les émissions de gaz à effet serre sont significativement moindres que celles des pays riches, qui sont les plus touchés par les conséquences du changement climatique. La Bolivie est ainsi un des pays des plus touchés par le changement climatique (les glaciers qui contribuent à 30 % de la consommation en eau de La Paz ont perdu 50 % de leur volume depuis 1976, les tribus amérindiennes sont les premières victimes des installations pétrolières, minières ou hydrauliques ainsi que de la déforestation).
Dans son discours d’ouverture, Evo Morales a rappelé que la conférence de Copenhague avait autorisé une augmentation de + 2 °C, ce qui était inacceptable et expliquait qu’il ait convoqué la Conférence de Cochabamba. Une augmentation de + 2 °C signifierait en effet une baisse de la production alimentaire de 40 %, une disparition de 20 % des espèces de la planète, la fonte des glaciers des Andes et de l’Himalaya, une hausse du niveau des océans. L’augmentation de la température ne doit pas dépasser + 1 °C. Evo Morales a ensuite appelé l’attention de tous sur plusieurs faits. Les pays industrialisés représentent 20 % de la population mondiale mais 80 % des émissions de GES. Ils devaient diminuer ces dernières de 5 % en 2007 par rapport à 1990 ; elles ont augmenté de 11,5 %. L’actuel système de production, basé sur une maximisation des profits, détruit la planète. Il considère les hommes uniquement comme une force de travail et de consommation ; il les considère pour ce qu’ils font et non pour ce qu’ils sont. La marchandisation des ressources naturelles (eau, …) conduit à la destruction de l’harmonie entre l’homme et la nature. 1 % de la population du monde consomme 50 % des richesses de la planète. L’empreinte écologique des PI est cinq fois plus grande que les capacités de la planète. « La terre ne nous appartient pas, c’est nous qui lui appartenons » a martelé Evo Morales. Le système économique actuel séquestre la Terre Mère (la pachamama) afin d’exploiter ses ressources et ses habitants. Il nous faut remettre en question nos modes de consommation : utilisation des OGM, des produits pharmaceutiques, des objets en plastique (sachets, assiettes, ponchos, …). Il faut instaurer un tribunal international de justice climatique pour juger le non-respect de Kyoto. Notre planète est malade en raison d’un système qui transforme la Terre Mère et l’Humanité en marchandises, avec des conséquences terrifiantes : tremblements de terre, tsunami, cyclones, misère, faim, … Si nous ne réagissons pas, nous laisserons le système actuel nous mener à la mort.

17 groupes de travail se sont ensuite réunis avec pour thèmes :
– les causes structurelles du réchauffement climatique (les innovations technologiques sensées résoudre le CC ne font que l’aggraver et transfèrent la responsabilité de la planète aux pays du sud ;
– la lutte contre le CC implique un changement des paradigmes de surconsommation et d’industrialisation illimitée qui déforment et dévalorisent l’histoire, les cultures et les savoirs des autres), l’harmonie avec la nature (le modèle actuel de développement, anthropocentrique, basé sur le consumérisme et l’accumulation privée de richesses génère inégalité, pauvreté, exclusion et destruction des communautés et de l’environnement ; il est nécessaire de forger un nouveau système qui rétablisse l’harmonie avec la nature et entre les hommes, et réhabiliter les diverses formes de savoirs et technologies ancestrales, les systèmes locaux de production, de distribution et de consommation qui respectent la capacité régénérative de la nature, et le principe d’égalité entre les hommes) ;
– les droits de la Terre Mère (l’atmosphère n’est pas seulement le résultat de forces physiques ou chimiques mais l’interaction de la vie avec son environnement écologique ; il faut adopter des modes de production, de consommation et de reproduction qui sauvegardent les capacités de régénération de la Terre) ;
– le changement climatique (Copenhague a montré que les PI cherchent à imposer aux peuples, gouvernements et pays de la planète, sans les consulter, des décisions concernant le devenir de la Terre Mère, oubliant que la planète et sa gestion ne sont pas la propriété exclusive d’un petit groupe de gouvernements et d’institutions) ;
– la création d’un tribunal de justice pour le climat (afin de prévenir, juger et punir les Etats, entreprises et individus qui, par leurs pollutions, aggravent le changement climatique et la destruction de la Terre Mère, éduquer et faire prendre conscience des dangers causés par un système économique basé sur la croissance économique, l’accumulation du profit et le consumérisme) ;
– les migrations dues au changement climatique (désertification, déforestation, dégradation des sols, contamination des eaux, cyclones et inondations), les peuples indigènes (reconnaître leurs civilisations, identités, cultures et cosmovisions, basées sur des connaissances et sagesses ancestrales, reconnaître la Terre Mère comme un être vivant avec lequel nous avons un lien indivisible et interdépendant, restituer aux peuples indigènes leurs ressources naturelles, eaux, forêts, lacs, océans, places sacrées, terres et territoires) ;
– la dette climatique (les pays pauvres ont le moins contribué au changement climatique mais en sont les premières victimes, les PI doivent décoloniser l’atmosphère en réduisant leurs émissions et en assurant un partage équitable de l’espace atmosphérique) ;
– le Protocole de Kyoto et les émissions de GES (Copenhague a tenté de mettre fin à Kyoto, seul instrument contraignant pour les réductions GES, il faut donc confirmer obligations de Kyoto, et réduire les émissions de GES des PI, sans recours au marché des crédits de carbone) ;
– le financement (les PI doivent s’engager à financer les coûts encourus par les PVD pour l’atténuation des émissions de GES et les transferts de technologies ; le marché du carbone doit être supprimé car ceux qui en profitent le plus sont ceux qui ont le plus dégradé l’environnement et il leur permet d’échapper à leurs engagements de réduction des émissions) ;
– les transfert des technologies (il faut mettre en oeuvre des technologies socialement et environnementalement saines dans chaque pays, et changer les modes de vie du système économique dominant) ;
– les forêts (promouvoir la gestion intégrée des forêts naturelles, reconnaître les droits des communautés indigènes à vivre de la forêt, remettre en question les conceptions minières, économistes et mercantilistes des forêts) ;
– la souveraineté alimentaire (a déforestation, la monoculture, l’utilisation massive d’intrants chimiques, l’industrie agroalimentaire, le transport des produits alimentaires finis à des milliers de km pour atteindre le consommateur, la production de GES issus des élevages industriels, … sont des causes majeures du changement climatique et du déséquilibre alimentaire ; les OGM ne constituent pas une solution au changement climatique mais sont un outil pour contrôler les semences et les aliments, menacent les savoirs locaux, la santé humaine, l’environnement, l’autonomie locale et la souveraineté alimentaire, et aggravent la concentration et la destruction des ressources naturelles).

C. Leçons de la Conférence Mondiale contre le Changement Climatique
A Cochabamba, les PVD ont identifié sans complaisance les véritables responsabilités du changement climatique et ont proposé des solutions à la crise environnementale, ces solutions ne recourant pas nécessairement aux mécanismes de marché, comme le proposent les pays riches, contrairement aux propositions formulées par les pays riches, tels les programmes de réduction des émissions causées par la déforestation et la dégradation des forêts (programmes REDD), dont le fonctionnement se base sur la préservation des zones de forêt dans les pays du sud en échange des droits d’émission de certaines quantités de charbon pour les pays industrialisés ; c’est le cas également de la production de semences génétiquement modifiées plus résistantes. Ces solutions ne sont que des solutions palliatives, qui ne présupposent pas des vraies modifications des modèles productifs responsables des désastres environnementaux.
Au long des trois jours de la conférence, les participants ont dénoncé le modèle économique capitaliste, en le considérant comme le principal responsable du changement climatique, car outrepassant les limites imposées par les cycles de vie des êtres vivants.
A Cochabamba, ce qui était marquant était la présence massive des populations indiennes. Pour la première fois, celles-ci ont pu prendre la parole et s’exprimer, sortant ainsi de longs siècles de répression et de silence, et proposer des solutions plus durables pour la défense des ressources naturelles et des droits de protection de la nature. Les savoirs ancestraux des peuples indigènes sont apparus comme une alternative viable au modèle capitaliste de développement, ayant fait la preuve de leur capacité immémoriale à gérer de façon durable et soutenable les ressources naturelles.
Un accent particulier a été mis sur les choix des gouvernements latino-américains qui, bien que se présentant comme progressistes, continuent à axer le développement de leur pays sur les exportations de matières premières et l’exploitation des ressources naturelles, au détriment de l’équité sociale, du respect de l’environnement et d’une économie centrée sur la promotion de l’agriculture paysanne, garante de la souveraineté alimentaire. L’exemple le plus criant est le projet IIRA (Initiative d’intégration de l’infrastructure régionale d’Amérique du sud) qui comprend 500 projets gigantesques (barrages, pipelines, routes, ports …), pour un coût de 70 milliards $US (finances par BID, SAD, BNDES, BIRD, UE), avec la destruction de régions entières (Amazonie, Pantanal, Andes, Chaco) et le risque de différends entre pays (le Brésil et la Bolivie s’opposent sur la construction de 2 barrages sur les rives du Madera qui vont inonder 500 km2 d’Amazonie bolivienne).
La conférence de Cochabamba s’est achevée sur l’espoir que les cultures indigènes, longtemps occultées, ainsi que leur organisation sociale et leur gestion de l’environnement puissent enfin apporter leur contribution au développement durable du continent américain.
Un document de synthèse a présenté les propositions des peuples (et non plus seulement des gouvernements) pour un modèle de développement qui préserve les ressources naturelles, contre la dégradation climatique, tout en sauvegardant la justice sociale et la responsabilité écologique.

D. Pachamama
Fait très parlant, la conférence de Cochabamba a été ouverte par la Ch’alla, cérémonie andine d’offrande, faite pour honorer la Pachamama et consistant à arroser la terre avec de l’alcool et des pétales de fleurs. La ch’alla est une sorte de bénédiction qui vise à placer les humains sous la protection de la Pachamama. Le rituel d’offrande à la Pachamama est très pratiqué par les peuples Andins, souvent en symbiose avec la religion catholique. Le culte Pachamama a profondément façonné l’économie, la culture et la spiritualité des peuples Andins.
Cette pratique d’arroser la terre ou des objets pour les « bénir » se retrouve dans d’autres cultures traditionnelles, comme en Afrique, où on offre la première gorgée aux ancêtres en la versant sur le sol.
La Pachamama, la Terre Mère, est la matrice de la vie, symbole de fertilité, et le lieu de rencontre entre le Créateur et la création. Avec le père, le soleil, elle permet de nourrir ses fils et de leur offrir une nature riche et diversifiée. Pour les peuples Andins, la terre a une âme et est un lieu sacré et est la représentation physique du cosmos, le fondement de toutes réalités, et le lieu de réception de toutes les forces sacrées qui se manifestent par les éléments naturels.
La cosmovision Andine a donné et continue de donner aux peuples natifs d’Amérique une vision respectueuse du milieu naturel dans lequel ils vivent. Contrairement à la vision anthropocentrique de l’Occident qui place l’homme au centre de toutes choses, la vision cosmocentrique des peuples indigènes reconnaît la profonde interdépendance de l’ensemble des choses et des êtres créés, l’homme n’étant ni supérieur ni inférieur aux autres éléments du cosmos et devant vivre dans le respect de chacun de ces éléments.
Dans la cosmovision Andine, la nature, l’homme et la Pachamama, notre terre mère, vivent en harmonie et en inter relation perpétuelle. Chacun est lié et fait partie de l’autre, chacun a besoin de l’autre pour vivre et aucun ne domine. Non seulement les hommes mais aussi les animaux, les plantes, les pierres, les montagnes et les fleuves, tous sont sacrés et font partie d’un tout.
Les populations Andines Quechua et Aymaras ne considéraient pas uniquement la terre et la nature comme objet de production ou de contemplation mais aussi comme un mystère qu’ils se doivent de respecter.
Grâce à leur cosmologie, les Incas ont su créer une organisation économique et culturelle basée sur le respect de la nature et une harmonie avec ses éléments
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