LES CONTES AFRICAINS, TRESOR POUR L’HUMANITE

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LES CONTES AFRICAINS, TRESOR POUR L’HUMANITE

Ce vendredi 19 mai 2017, à l’IF d’Abidjan, le groupe « Les Femmes Battantes » composée de Florence Kouakou (surnommé Flopy Mendosa, contraction de Mental-Douceur-Sagesse), Rebecca Kompaoré, Brigitte Glaï et Thérèse Yao, a animé la « Nuit du Conte en Famille ». Accompagnées par un groupe de percussionnistes, elles ont montré, à travers leurs récits, combien le conte africain était l’assurance de tracer les voies d’une société juste et équitable, et de construire une humanité de valeur.

1. Le conte, richesse de l’Afrique

Les contes, chants et épopées font partie intégrante de la culture africaine. Issus d’une tradition orale séculaire, transmise de génération en génération par les conteurs, les griots, les sages, les vieillards, les femmes, …, cette littérature orale a aujourd’hui dépassé les limites de l’Afrique noire et se répand à travers le monde, montrant que l’attirance pour l’Afrique noire, sa culture, ses formes artistiques et sa littérature est réelle. Encore aujourd’hui, alors que l’Afrique noire se modernise et que ses valeurs et moeurs évoluent, influencées par les courants occidentaux, la tradition orale, avec ses devises, proverbes, fables, contes et épopées, occupe une place importante. La tradition orale reste l’une des richesses et des caractéristiques de la société d’Afrique noire. Traditionnellement, les contes sont récités le soir, à la tombée de la nuit, une fois les labeurs et travaux de la journée achevés. Cet instant est propice à l’écoute de toute la population du village (enfants, vieillards, hommes et femmes) qui est regroupée sur la place centrale. Le conteur n’est pas le seul à prendre la parole. Tour à tour, les villageois vont eux-mêmes se lancer dans un récit, faire part d’une anecdote, proposer une devinette, évoquer un proverbe, la parole circulant ainsi dans l’assistance. En Afrique noire, conter le soir, c’est aussi aider la nuit à succéder au jour et veiller au bon passage du jour suivant. Les esprits sont plongés dans une douce torpeur, les conflits de la journée sont apaisés, le calme et la sérénité s’emparent des villageois.

2. Le conte, invitation au voyage

S’accompagnant d’un instrument de musique (cithare tétracorde, …), le conteur commence son récit par une formule rituelle, instaurant ainsi, dès le départ, un rapport de confiance, de convivialité et d’échange avec son public. Ce prélude permet de fixer et d’attirer l’attention des auditeurs avant même que le récit ait débuté, mais c’est surtout une invitation au voyage vers des contrées inconnues où le surnaturel et le merveilleux sont la règle. La façon de raconter n’est pas la même et le conteur qui part de la même histoire, ne la racontera pas de la même manière, ne s’attardera pas sur les mêmes épisodes, fera évoluer les personnages différemment, etc. Le conteur est celui qui fait revivre le passé, il est le narrateur de l’histoire du monde, le détenteur des récits relatifs aux fondations d’empires, aux généalogies, aux faits et aux gestes des hommes illustres.

3. Le conte, mise en scène

Le conteur est un acteur avant d’être un conteur. La mise en scène revêt une importance toute aussi grande que le conte en lui-même qui, bien souvent, est connu de toute l’assemblée. On reconnaît un bon conteur à ses qualités théâtrales. Tour à tour mime, bouffon, danseur, il capte l’attention du public par un ensemble de procédés suggestifs : position du corps, gestuelle, intonations, débit et volume de la voix, apostrophe du public, musicalité des mots, … Le conteur doit faire en sorte de rendre vivante la scène afin que le public puisse réellement s’imaginer la situation et coller ses propres images mentales sur les mots prononcés par le conteur. L’implication du public est alors totale.

4. Le conte, symbole des choses sacrées

La littérature orale d’Afrique noire regroupe aussi bien les devinettes, les formules divinatoires, les maximes et dictons, les louanges, et enfin, les plus connus, les contes, les fables, les épopées, les proverbes, les chants, les comptines et les mythes. Derrière le conte, plus qu’une forme plaisante, distrayante et divertissante, se cache une portée plus didactique. Comme le remarque François François N’Sougan Agblemagnon, sociologue togolais « le conte n’est pas simplement une mise en scène de l’histoire des hommes ; c’est un jeu cosmique qui reprend les grands mythes de la nature. Le conte a donc pu être une manière voilée de parler des choses sacrées, une manière de mettre les grandes vérités à la portée de tous ». Symbolisant le passage du sacré au profane, le conte explique sa popularité auprès des populations d’Afrique noire par et pour lesquelles il est créé. Etroitement lié à la culture et à la géographie du peuple qui l’a produit, le conte naît et vit de la collaboration entre le peuple auditeur et le conteur respectueux de son idéologie et de sa culture.

5. Le conte, vérité imagée

Les contes sont très souvent émaillés de proverbes qui servent alors à souligner une finalité morale ou bien à mettre en évidence une leçon tirée de la sagesse des anciens. Mais bien plus souvent encore, le conte trouve son origine dans un proverbe. C’est ce dernier qui le fait naître. Le conte n’en est alors que l’illustration et le développement. Le proverbe est une vérité imagée et se fond avec le conte en un tout. Naissant l’un de l’autre et s’appuyant l’un sur l’autre, tous les deux servent un même dessein, celui de définir la place de l’homme dans la société africaine et d’orienter son action et son existence dans un sens conforme à la vérité.

6. Le conte, rencontre de personnages

Les personnages dans les contes d’Afrique noire sont très nombreux. Les conteurs font appel à la fois aux humains (enfants, sages, vieillards, femmes, sorciers, rois…), aux animaux (singes, éléphants, lions, lièvres, araignées, antilopes,…), aux minéraux, végétaux (baobab, …) et aux objets (calebasse,…). Au fil des contes, le public rencontrera également des figures surnaturelles (monstres, génies) et même allégoriques telles que l’Amour, la Bonté ou la Mort. Les animaux restent cependant les personnages les plus fréquemment rencontrés dans les contes africains. Selon Amadou Hampaté Bâ, les contes ayant pour personnages des animaux sont une ruse fréquemment utilisée par les sages pour faire prendre conscience aux hommes de leurs défauts, de leurs erreurs et de leurs attitudes maladroites sans blesser leur ego, les hommes étant susceptibles et orgueilleux.

7. Le conte, personnification des animaux

Comme dans les fables qui recourent très fréquemment à ce subterfuge, les animaux sont personnifiés et ont des traits de caractère prédéfinis. Selon l’emploi rempli dans le conte, ils revêtiront un ou plusieurs de ces traits à la fois : le lion symbolise la force et le courage ; la hyène symbolise la gourmandise, la naïveté, la précipitation et la laideur ; le lièvre symbolise la ruse et la peur ; la panthère symbolise la rapidité, l’adresse, la traîtrise et la férocité ; la tortue symbolise la longévité, la protection et la lenteur ; la tourterelle symbolise la paix, la beauté et la délicatesse ; l’hippopotame symbolise la laideur, la brutalité et la stupidité ; l’éléphant symbolise la force, l’intelligence, la sociabilité et la reconnaissance. Souvent, les animaux sont associés par deux, chacun représentant un des deux aspects opposés de la personne humaine : le bien et le mal, la sagesse et l’imprudence, … Dans les contes d’Afrique noire, il n’est pas toujours aisé de dissocier les personnages les uns des autres et de comprendre le rôle et la fonction de chacun. Discerner le symbolisme qui se cache dans chaque personnage qu’il soit animal, être humain ou objet, demande un certain entraînement et une certaine vivacité d’esprit, participe au plaisir d’écouter le conteur ou le griot et rend le conte peu accessible voire hermétique aux non initiés.

8. Le conte, histoire des héros

Dans les contes initiatiques, le héros (sujet) se voit attribuer une quête (objet) par un initiateur (destinateur). Le rôle de l’initiateur est souvent attribué à la marâtre qui exige du héros la réparation d’une faute commise (aller chercher une calebasse neuve) ou un service (aller chercher de l’eau au fleuve). Pendant son aventure, le héros rencontre des adjuvants qui l’aident généralement après un service rendu, par un don magique ou une parole bénéfique. Il doit aussi affronter des opposants qui lui tendent des pièges pour qu’il n’arrive pas au bout de sa quête. Enfin, le destinataire est celui à qui va profiter la quête. Ces différents intervenants sont les personnages secondaires du conte. Ils vont tous avoir une grande influence sur le déroulement de la quête.

9. Le conte, allié de la musique

Les musiques africaines occupent une place essentielle dans les récits de tradition orale. Le griot s’accompagne très souvent d’un instrument (harpe, mvet, tam-tam…). Le conte fait appel aux chants, à la danse, … La musique est omniprésente et contribue à la beauté du récit en le rendant vivant et expressif. Chansons, comptines, contes chantés et musique occupent une place importante dans la société d’Afrique noire. Associés à toutes les activités quotidiennes ou aux rituels et fêtes, ils célèbrent les temps forts de la journée et de la vie.

10. Le conte, miroir de la société

Le conte et la littérature orale en général n’ont pas uniquement une fonction ludique, mais comptent également une fonction pédagogique, politique, sociologique, initiatique et fantasmatique. De plus, ils renferment toute l’histoire et la culture du pays, du peuple ou du village auquel ils appartiennent. Les petites scènes du quotidien, fables ou toute autre forme anodine colportées par des générations successives de griots, sont autant de sources d’informations sur une société, son fonctionnement (hiérarchie, …), ses habitudes culinaires, ses cérémonies et festivités, sur sa faune et sa flore et ses croyances. Généralement inspiré de la vie quotidienne, le conte met en scène des problèmes pouvant entraver le maintien et la survie du groupe (conflit entre deux co-épouses par exemple) et utilise l’humour afin de dédramatiser la situation ou, au contraire, d’en faire ressortir la gravité.

11. Le conte, livre d’histoire

Des épopées comme celles de Soundiata Keïta situe précisément l’histoire au Mali et permet aux enfants d’appréhender l’Afrique noire non comme une entité mais comme un ensemble de pays ayant chacun leur propre culture, coutume, etc… Voici la formule employée par Dialiba Konaté pour refermer l’histoire de Soundiata, quitter le monde merveilleux du conte, revenir à la réalité et ancrer ainsi cette légende dans le subconscient de chacun: « Telle fut l’épopée de Soundiata, telle au Manding elle fut racontée d’hier à aujourd’hui. Ecoutez la parole des griots, sachez qu’ils ont fait le serment d’enseigner et de taire ce qui est à taire. Et que personne jamais n’oublie: nous sommes petits devant les ancêtres. Près de Niani s’étend l’ombre d’un grand fromager. Ruines amassées, grandeurs ensevelies, les rois ont succédé au roi, mais l’esprit de Soundiata vit toujours, au Mali ».

12. Le conte, éveilleur de l’auditoire

L’important pour le conteur est de susciter les réactions de l’auditoire, de provoquer une prise de conscience et d’éveiller les sentiments. Alors seulement, le sage ou le conteur proposera une solution au problème, afin de pallier les excès ou les débordements qui pourraient survenir chez certains membres. On aboutit donc à une morale. On peut clairement associer le conte à un enseignement. D’où sa fonction pédagogique : le rôle de la parole dans la tradition orale constitue un véritable apprentissage. Les contes donnent toujours lieu à une écoute en groupe dans un esprit où la convivialité peut aider à l’appréciation et à la compréhension du récit.

13. Le conte, clé de vie

Très tôt les enfants africains apprennent le respect de la parole orale et comprennent que tous les récits qui pourront leur être transmis par le conteur du village, le sage, leur mère ou leurs grands-parents, constitueront l’une de leurs plus grandes richesses, leur donnant les clés pour connaître les règles de vie de leur communauté, comprendre la culture dans laquelle ils évoluent ainsi que le monde qui les entoure. Transmis par les parents et les grands-parents à qui il incombe la perpétuation de la tradition de génération en génération, les contes et l’ensemble de la littérature orale d’Afrique noire demeurent l’un des principaux facteurs d’intégration sociale et de survie au sein d’une communauté. Conditionnant la découverte du moi, la transmission des contes inculque aux enfants les valeurs traditionnelles et leur permet de se réaliser en tant que personne à part entière, occupant une fonction bien précise au sein de la communauté. La tradition orale joue ainsi un rôle prépondérant dans la transmission des connaissances.

14. Le conte, transmetteur de valeurs

Que les thèmes soient plutôt traditionnels et construits autour des personnages de la hyène et du lièvre ou modernes (lutte contre le racisme, droit à la différence, …), les contes véhiculent tous des valeurs dignes d’être connues : la prudence, la générosité et la pudeur ; la ruse, indispensable pour se défendre contre les forces brutales et malfaisantes de l’environnement ; la dignité. Ecoutons Amadou Hampaté Bâ : « Il est peu de choses dans la tradition africaine, qui soient purement récréatives et gratuites, dépourvues d’une visée éducative ou d’une fonction de transmission de connaissances. Tout conte est plus ou moins initiatique, parce qu’il a toujours quelque chose à nous apprendre sur nous-mêmes. C’est une véritable pédagogie orale. Le conte, qui passe par le symbole et l’image et non par des explications rationnelles, a le don de nous toucher, sans que nous nous en rendions compte, au plus profond de nous-mêmes, et de traverser les siècles sans rien perdre de son pouvoir. A ce titre, le conte est un moyen de transmission par excellence ».

15. Le conte, image d’une autre Afrique

Les contes permettent de proposer au reste du monde une toute autre image de l’Afrique que celle que les medias véhiculent et d’en donner une vision beaucoup moins réductrice. Tous y trouvent, plus qu’une morale, une merveilleuse leçon de sagesse et de vie. Ils sont émerveillés par la découverte d’un monde différent. Le conte africain, bien plus que les contes européens, entrouvre les portes d’un monde où il est possible de laisser libre cours à son imagination et s’abandonner dans ses songes. La lecture des grandes épopées africaines où les personnages s’illustrent par leur héroïsme, permet de s’ouvrir très tôt aux autres cultures, de découvrir la culture africaine et d’appréhender le monde dans sa diversité. Ces histoires venues d’ailleurs et qui montrent la richesse des cultures africaines, de leurs valeurs et leurs coutumes, permettent aux lecteurs de faire preuve d’une grande ouverture d’esprit. La littérature orale d’Afrique noire permet également de ne pas enfermer l’Afrique dans une tradition trop lourde qui n’est plus toujours en phase avec la société africaine d’aujourd’hui, mais d’ouvrir le champ des investigations à des thèmes modernes dont s’emparent les conteurs actuels en Afrique noire (lutte contre le racisme, sida, droit à la différence,…). Ces thèmes sont universels et donnent l’image d’une Afrique noire « moderne ».

16. Le conte, véhicule de sentiments universels

Les contes plongent au coeur de l’Afrique et de ses lois et parlent des africains tout autant que des autres et du monde. Les sentiments que les contes décrivent sont en effet universels et communs à toutes les cultures de la terre. Les contes montrent à tous que même s’ils n’appartiennent aux mêmes cultures que celles du monde, les Africains peuvent ressentir la même chose et que l’Afrique noire ne se limite pas au lièvre, au chasseur, aux rites initiatiques, etc… Les contes d’Afrique noire sont une source d’inspiration intarissable pour tous car ils véhiculent des valeurs telles que la paix, la bravoure, l’honnêteté, la force, le courage et la droiture. Et, comme c’est souvent le cas en Afrique, ce n’est pas seulement pour l’histoire qu’elle raconte que cette épopée est transmise de génération en génération, mais pour le rôle qu’elle peut jouer dans l’éducation des jeunes et moins jeunes et la construction de leur personnalité. Les contes nous font découvrir l’Afrique noire dans toute sa splendeur. Ils témoignent des modes de vie, des coutumes, des pratiques et des croyances qui habitaient les populations africaines et rythmaient leur quotidien. Les Africains sont généralement farouchement attachés aux contes traditionnels qui exaltent des valeurs telles que la loyauté, le courage, la solidarité ou bien encore la paix. Les contes véhiculent des concepts uniques et enthousiasmant, qui révèlent toutes les richesses de l’Afrique noire et mettent en valeur une tradition héritée de siècle en siècle en l’inscrivant dans l’air du temps.

17. Le conte, hommage à l’Afrique

Dans le monde actuel où les échanges se multiplient, ouvrir l’esprit de tous aux cultures du monde entier, et en particulier de l’Afrique, est essentiel pour une meilleure compréhension du monde qui nous entoure, pour une meilleure insertion au sein de la société,… Ainsi, les contes d’Afrique noire en tant que contes venus d’ailleurs ayant des valeurs et des enseignements différents, ont un rôle important à jouer dans l’éducation. Le conte africain révèle toute sa dimension pédagogique (transmission de valeurs,…) combattant les a priori qui circulent sur l’Afrique noire et sa culture, les images très restrictives de l’Afrique noire représentée par des fragments de sa culture. Les contes reproduits sont un merveilleux hommage à l’Afrique noire.

18. Le conte, un don

En Afrique noire, le conte qui est transmis et porté à la connaissance de tous, est plutôt pensé comme un don. C’est un enseignement en soi et c’est à force de pratique et d’écoute que l’on comprend le sens caché des mots et les valeurs qu’ils incarnent. En Afrique, il n’est nullement question de disséquer le conte ni de le retourner dans tous les sens pour en extraire toute la quintessence. Les contes dits aujourd’hui parviennent à une synthèse entre respect de la tradition, modernité de l’approche, et ouverture sur l’Afrique contemporaine.

Pour ce texte, je me suis inspiré du mémoire d’Anne Godin sur les contes africains, présenté à l’IUT René Descartes de Paris 5. Cordialement. Pascal Gbikpi.

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