Le Morne-des-Esses (commune de Sainte Marie) a la particularité d’abriter un haut lieu culturel de la Martinique, à savoir le Centre de Vannerie Caraïbes. Celui-ci permet en effet de redécouvrir tout un pan de l’histoire et de la sagesse des populations qui peuplaient la Martinique avant l’arrivée des européens.
Aux environs du 8è siècle après JC, les Petites Antilles voient l’arrivée des guerriers Kalina (vrai homme) venus des côtes de l’Amérique du Sud, lesquelles appartiennent au groupe linguistique Karib regroupant plusieurs centaines d’ethnies résidant au nord-est de l’Amérique du Sud. Ils conquièrent une à une les petites Antilles soumettant les populations locales de langue arawak. Le nom de Caraïbes sera donné par les français au peuple Kalinago
A l’arrivée de Christophe Colomb, les Antilles sont donc divisées en deux grands ensembles culturels et socio-politiques :
– le complexe socio-culturel Taïno (Arawak), englobant l’archipel des Bahamas et les grandes Antilles, de Cuba à Porto Rico ;
– le complexe socio-culturel Kalinago (ou Caraïbe) englobant les petites Antilles, et une partie du littoral, des fleuves et de l’intérieur du sud du Vénézuela et des trois Guyanes. On a donc une aire Kalinago s’étendant entre Caracas, Cayenne et les ïles Vierges (au sud de Porto Rico).
Le village Caraïbe était composé d’un édifice central, le carbet, entouré de cases disposées en arc de cercle. Chaque case appartenait à une femme mariée et à ses enfants. Le carbet était la maison collective où les hommes de retrouvaient du lever au coucher du soleil.
Lieu de travail artisanal, de repos, réfectoire, des fêtes et cérémonies, le carbet était aussi une assemblée politique où se traitaient les affaires du village. Les femmes et les enfants n’étaient autorisées à y pénétrer qu’à certaines occasions. Les membres du carbet âgés de 16 ans devaient passer les épreuves d’initiation guerrière.
Les tâches étaient réparties de façon claire entre hommes et femmes. Le défrichage, le brûlis et le nettoyage des jardins étaient l’affaire collective des hommes, ainsi que la chasse, la pêche, la fabrication des armes, des ustensiles de pêche, de la vannerie et des pirogues, la construction des cases, et les expéditions guerrières étaient le domaine des hommes.
Le labour, les semis, l’entretien, la récolte et son transport revenaient aux femmes qui étaient également chargées de la transformation des racines de manioc en cassave ou en bière. La cuisine, l’éducation des enfants, la fabrication des poteries, le filage et le tissage du coton pour la fabrication des hamacs, étaient aussi les tâches des femmes.
Les Caraïbes étaient de redoutables guerriers rompus dès le plus jeune âge au maniement du boutou (casse-tête) et de la flèche empoisonnée. Leurs expéditions menées sur plusieurs milliers de kilomètres en flotilles de pirogues ou kanawa, fortes chacune d’une trentaine d’hommes, rassemblaient plus de 1 500 guerriers venus de toutes les Petites Antilles.
A leur arrivée, les espagnols accuseront les Caraïbes de cannibalisme et d’idolâtrie. Ceux-ci seront pourchassés, capturés, marqués au fer rouge et réduits en esclavage dans les mines d’or et les plantations des Grandes Antilles.
Vers 1625, le français Pierre Belain d’Esnambuc, corsaire reconverti en planteur de tabac, parviendra à s’établir sur l’île de Saint Christophe (St Kitts) en massacrant les Kalinago. De cette île, il partira, une décennie plus tard, à la conquête de la Martinique.
Le tissage est un art sacré dans les sociétés traditionnelles amérindiennes. Le tissage n’est simplement un passe temps ou un savoir faire. C’est un acte sacré. Lorsqu’une personne tisse, ce n’est pas seulement un individu qui tisse mais beaucoup de personnes qui tissent avec elles. Ses doigts se joignent aux doigts des générations antérieures et à ceux à venir qui porteront cet art sacré.
L’arouman (ischosiphon arouna) était la fibre reine de l’artisanat caraïbe. Le matoutou était un panier carré sur pieds hauts d’une quinzaine de cm. Divers autres paniers étaient fabriqués. Le balisier (helicania bihai) était utilisé pour ses nervures et ses feuilles pour la fabrication de paniers étanches servant, entre autres, à ranger les hamacs.
L’arouman servait aussi à tresser le « roucouma » ou « matabi », presse ou chausse à manioc, dénommée « couleuvre » pour sa ressemblance avec ce reptile. Ce long cylindre de vannerie, rempli de pulpes de racines de manioc râpées, servait à en extraire le suc mortel, manihotoxine ou acide cyanhydrique. La pâte obtenue était ensuite étalée et cuite sur une platine pour donner des galettes, les « cassaves », qui sont mises à sécher avant d’être consommées. A côté du manioc, aliment principal, les Caraïbes consommaient aussi la patate douce qui servait à confectionner deux boissons. Le « ouicou », préparé à partir d’un mélange d’eau, de cassaves et de patates douces, mis à macérer pendant quelques jours jusqu’à fermentation, était utilisé lors des célébrations rituelles. De la cuisson de la patate douce détrempée dans de l’eau, ils extrayaient leur principale boisson, le « maby ».
La hotte ou « cataholi » était l’instrument essentiel des femmes pour le transport, à l’aide d’un bandeau frontal, des produits agricoles (fruits et racines).
L’arouman servait encore à la fabrication de la couronne de plumes d’arras ou de perroquets, dénommée « youmarili » servant à parer les guerriers lors des fêtes et cérémonies.
D’autres fibres tressées comme comme celles des feuilles de plusieurs espèces d’agaves, broméliacées ou ananas pite, sauvages ou cultivées, étaient utilisées pour la fabrication de filets, ficelles et cordes, résistants et de fonctions différentes, qui après application de gomme et de sable fin comme abrasif, pouvaient servir de limes capables de tailler pierres et conques de lambi. Au temps de la conquête, cette technique permit à certains de tronçonner les chaînes qui les emprisonnaient ou les ancres de navires.
Les feuilles de divers palmiers (latanier, palmiste franc, …) servaient à la fabrication de nattes, de cordes ou de craquois.
Les trames d’arouman et autres fibres étaient ornées de motifs géométriques composés à partir de l’alternance de trois teintes : beige naturel, rouge (obtenu à partir de graines de roucou broyées) et noir (obtenu à partir de la fumée de la résine du gommier blanc.
Source : textes de Thierry L’ETANG exposés au centre de vannerie du Morne-des-Esses (Sainte-Marie).
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