La région de l’Indénié-Djuablin, une des 31 de la Côte d’Ivoire, est remarquable par sa stabilité sociale, ancrée dans une organisation traditionnelle séculaire qui se répète au niveau du roi, des chefs de canton et des chefs de village. La région de l’Indénié-Djuablin correspond aux deux grands royaumes du pays Agni : l’Indénié (dont le siège est à Abengourou) et le Djuablin (siège à Agnibilékrou).
- Agni
Les Agni de l’Indénié, rameau du groupe Akan, sont originaires d’Agnuangnuan, dans le sud-ouest de l’actuel Ghana. Leur migration, qui se situe autour de 1745, visait à échapper à la domination ashanti. Le chef de groupe, Ahy Bahié, s’installa sur le lieu d’arrivée en disant « n’dé me néan » c’est à dire « je suis assis, j’observe », sous-entendu « je veux voir si mes poursuivants viendront jusqu’à moi ». C’est cette phrase qui, en forme contractée, a donné le mot n’dénéan, puis par déformation de l’administration coloniale, Indénié. Le royaume est une société très hiérarchisée avec au sommet, le roi, puis les chefs de tribu ou chefs de canton, les chefs de village, et enfin les chefs de cour ou de famille. Les chefs ne sont ni élus, ni désignés par le chef supérieur ou le roi, mais mis en place selon une transmission héréditaire conforme à la coutume des Akan.
- Roi
Dans la société Agni, fortement hiérarchisée, le roi est le personnage central. Incarnation vivante du peuple, il est l’intermédiaire entre les vivants et les puissances surnaturelles. Habité par une force morale et spirituelle qui lui confère des pouvoirs, le roi est le garant de la prospérité générale du royaume. Le sang qui coule dans les veines du roi est le sang de son peuple entier. La royauté est symbolisée par plusieurs objets symboliques :
– le tabouret ou bia symbolise le pouvoir temporel, spirituel et politique du roi. Le nombre de bia, jalousement gardés par un notable qui en assure la sécurité, équivaut à celui des rois ayant eu un règne prospère. Le bia n’est pas « la chose » du roi ; il ne le possède pas. Il n’en est que le dépositaire et pour un temps limité, celui de son règne, qui s’achèvera avec sa vie ou par sa déposition. Affleure ainsi une conception de l’État, de la « chose publique » qui est en opposition absolue avec celle de l’État « patrimonial ».
– le sabre royal êhôtô est le symbole du pouvoir militaire du roi, chef suprême des armées. Il symbolise la paix lorsque la lame est émoussée. Il est souvent accompagné de la machette alèlè dont le détenteur est le descendant de celui qui, pendant la migration, a ouvert la route dans la forêt devant le roi et son peuple. C’est devant le sabre que les peuples soumis et les chefs de province prêtent serment de fidélité et d’allégeance.
– le dja ou la collection des poids à peser l’or, communs à tous les Akan, symbolise le monde, les états de conscience des rois défunts et le pouvoir économique du souverain régnant. Ils ne sont pas que de simples instruments de mesure de la poudre d’or mais consignent, par images et écrits, la somme des connaissances des peuples Akan.
– le grand tambour ou kinyankpli, qui ne se fait entendre qu’en de rares occasions : pour annoncer le décès du roi ou d’un membre (homme et femme) de son lignage, pendant les funérailles royales, les cérémonies d’intronisation, la fête des ignames.
– le hamac d’osier tressé ou mongay dans lequel le roi, porté à demi étendu, lors de la fête des ignames, est un symbole de sa situation d’intermédiaire entre le commun des hommes et les puissances surnaturelles.
– les sandales royales, ornées de cabochons en or, ont une signification particulière. Quand le roi veut manifester son mécontentement et faire prévaloir sa volonté, il fait mine de retirer le pied de sa sandale. Alors, effrayés, ceux qui l’entourent le supplient aussitôt de n’en rien faire par le geste ordinaire de l’imploration : ils posent le dos de la main droite dans la paume de la main gauche.
– les cannes : faites de bois recouvert d’une feuille d’or, elles portent à leur extrémité la figuration de scènes ou d’objets qui ont trait au pouvoir politique et commentent généralement des proverbes. Une des plus connues montre un homme qui grimpe à un arbre poussé par un autre, image du proverbe qui dit que « le roi (ou le chef) qui n’est pas soutenu par ses sujets ne pourra atteindre son but ». Rechercher et atteindre le consensus est donc une nécessité.
- Reine-mère
L’institution et l’importance de la reine mère reste encore vivace chez les Agnis de l’Indénié, peuple Akan matrilinéaire. La Reine-mère est soit la mère du souverain régnant, soit l’ainée des femmes parentées au Roi. Quel que soit son âge, elle est un symbole, le lien avec les ancêtres féminins, la mère de chacun de ses sujets, représentant l’ensemble des mères. Sa charge est héréditaire et se transmet d’âge en âge. Jouant un rôle prépondérant mais très discret dans la gestion du royaume, c’est elle qui est chargée en premier lieu de la protection du Roi. Elle ordonne et contrôle toutes les cérémonies et les rituels de la cour. Elle est la conseillère le Roi qui la consulte régulièrement. Après la mort ou l’abdication du souverain, elle continue sa charge et participe de façon décisive à l’élection d’un successeur. Il ne faut surtout pas confondre la Reine-mère avec la Reine, qui elle, est l’épouse du Roi lorsque le mariage a été contracté publiquement et solennellement.
- Matrilinéarité
La famille nucléaire n’est pas une institution universelle et n’est pas, contrairement à ce que les sociologues pouvaient supposer autrefois, la clef de voûte de tous les systèmes de parenté. C’est le cas de la société Akan, où la famille nucléaire ne constitue pas l’élément fondamental de son organisation. Dans la société Akan, l’élément fondamental du système n’est pas la famille nucléaire mais la matrilinéarité. Les Agni, membres à part entière de la grande famille des Akan, considèrent le lien entre mère et enfant comme la clef de voûte de toutes les relations sociales. Ils le considèrent comme une parenté morale absolument prééminente. Une femme Agni ne calcule pas quand il s’agit de se sacrifier pour le bien de ses enfants. L’unité de base fondamentale de la société Agni est la famille-étendue matrilinéaire, où l’oncle utérin (frère de la mère) est promu à l’état d’ancêtre de sorte que l’héritage ne se transmet pas de père en fils, mais d’oncle à neveu. L’oncle maternel apparaît donc comme le représentant de l’autorité centrale, mais également comme un miroir indispensable à la reproduction de la microsociété locale. Après le décès de l’oncle, une concertation familiale avec les membres de la famille associant hommes et femmes surtout, permettra de désigner l’héritier de droit de l’oncle défunt. Les femmes à cette occasion désignent l’héritier, celui qui sera capable de gérer les affaires et les biens de la famille.
- Chef du village
De même que l’autorité au niveau du royaume est assurée par le roi, elle l’est, au niveau du village, par le chef de village. Devant le vide laissé par le décès du chef, la désignation de la nouvelle autorité coutumière s’impose et son choix est du ressort de la famille régnante. Les vieilles de la famille sont consultées et, après s’être concertées, elles désignent le neveu qui a droit à la succession, l’héritage se faisant de façon matrilinéaire. Le neveu de l’oncle défunt, désigné pour lui succéder, doit avoir des qualités reconnues de bonne moralité, de probité, et d’intégrité, une attitude respectueuse et être un rassembleur d’hommes. Si la vie politique et administrative du village est organisée autour de la personne du chef, le pouvoir politique n’est pas l’affaire d’un seul individu. Sur ce point se confirme l’affirmation de l’africaniste Guy Nicolas qui écrit « rares sont les sociétés africaines au sein desquelles le pouvoir politique est exclusivement confié à un individu ». Le chef de village ne gouverne pas seul, même s’il apparaît comme un personnage hors du commun, du fait qu’en plus de ses attributions, il incarne un pouvoir mystique. Il a toujours autour de lui un groupe de notables qui sont ses conseillers qu’il consulte pour prendre les décisions importantes.
- Chefferie et paix civile
Au lendemain des indépendances, dans les années 1960, les nouvelles « élites » africaines voyaient dans les rois et les chefs les reliques d’un passé qu’il leur appartenait d’abolir. Depuis, on observe une reviviscence des royautés et des chefferies et la cohabitation entre les pouvoirs traditionnels et administratifs apparaît comme une nécessité. Durant la décennie de crise que la Côte d’Ivoire a connue, le nom d’Abengourou n’a presque jamais été entendu. Dès la première quinzaine d’octobre, le roi Boa Kouassi III réunit à Abengourou les chefs des communautés allochtones dans la cour royale. Il fait état des rumeurs de violence et leur dit : « Cela fait des décennies que nous vivons ensemble ; nous sommes dans cette ville que nous avons tous construite. Nous n’avons jamais eu de difficultés avec vous. Nous vous avons donné des terrains pour bâtir, vous avez des plantations ici, et jusqu’à maintenant tout s’est bien passé. Alors, que ceux qui veulent rester avec nous, qu’ils restent. Quant à ceux qui veulent détruire cette ville, je leur dis : s’ils ont la possibilité de déterrer leurs maisons, leurs plantations, qu’ils prennent et qu’ils partent. Nous ne voulons pas de troubles ici, nous n’en avons pas besoin ». Face à ces tensions locales, les chefs de canton et de village, placés dans une société akan, hiérarchisée, à organisation étatique ancienne, ont alors suivi les instructions et recommandations du roi. Cet état de paix civile a perduré et aujourd’hui encore, Abengourou est un lieu particulièrement prisé pour les familles d’Abidjan qui veulent passer le week-end à l’intérieur du pays.
- Symboles
Les symboles Agnis sont de signes visuels, créés à l’origine par les Ashantis du Ghana. Ils représentent des concepts ou des aphorismes, et sont largement utilisés dans les tissus, les poteries, les sculptures, les murs, les logos, … Les symboles ont une fonction décorative, mais servent également à encapsuler des messages ayant trait à la sagesse traditionnelle ainsi qu’à tous les aspects de la vie ou de l’environnement.