RECONCILIER TRADITION ET MODERNITE EN CÔTE D’IVOIRE

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Mercredi 20 septembre 2017, s’est tenue à Yamoussoukro une rencontre nationale sur la sécurisation du foncier rural, organisée par Audace Afrique. Cette ONG, financée par la Fondation Friedrich Naumann, institution allemande présente dans une cinquantaine de pays, intervient dans deux régions de la Côte d’Ivoire (Guiglo et Sinfra), sur une opération de sécurisation foncière procédant à la délimitation des propriétés des grandes familles au sein de quatre villages retenus dans le programme. Plus d’une centaine de participants ont assisté à la rencontre, représentant autorités traditionnelles, corps préfectoral, services de l’Etat, associations, universitaires, …Cette belle rencontre était le lieu idéal pour s’interroger sur le rapport entre tradition et modernité en Côte d’Ivoire.

  • Une affaire pas seulement technique

Les échanges de la journée ont montré combien la sécurisation des terres rurales en Côte d’Ivoire n’est pas une affaire uniquement technique mais s’enracine profondément dans la réalité humaine et sociologique du pays. La composition des participants en était la meilleure preuve : au-delà des géomètres et techniciens, un nombre important de préfets et chefs traditionnels étaient présents. Si l’accroissement démographique et le développement économique obligent à une modernisation de la sécurisation des terres rurales de la Côte d’Ivoire, celle-ci ne peut être durable que si elle repose sur une connaissance approfondie des modes d’organisation locale. La création en 2014 de la Chambre des Rois et Chefs Traditionnels de Côte d’Ivoire démontre la volonté du pays d’intégrer la tradition aux institutions modernes et de contribuer ainsi à un développement viable et au recul irréversible de la pauvreté. Faite d’un ensemble, transmis de génération en génération, de connaissances, savoirs-faire, croyances, moeurs, lois et opinions, la tradition est le fruit d’un large accord social sur certains comportements, activités et méthodes considérés bons pour la survie et le développement de la société. Dotée d’une solide assise culturelle locale et d’un enracinement profond dans la vie des citoyens, avec des règles acceptées et reconnues par l’ensemble de la communauté, la tradition est en perpétuel mouvement et, articulée en permanence au vécu quotidien des concitoyens, ne peut être déconnectée de la modernité. Toute tentative de développement niant les us et coutumes est donc vouée à l’échec. L’expérience du passé est une référence éminemment utile à la survie et à la prospérité future d’un pays.

  • Une coutume en évolution constante

La tradition ne doit pas être soumise à une volonté de nivellement et d’uniformisation des cultures et des pratiques. Certains juristes les considèrent comme sans valeur alors qu’elles reposent sur une réalité humaine et sociologique incontournable. Pour d’autres, la tradition s’opposerait au modernisme, ce dernier étant assimilé au refus de l’autorité, au rejet des savoirs collectifs, et à la sacralisation de l’innovation, perçue comme seule condition du progrès. Les valeurs culturelles, us et coutumes d’une population ne peuvent être ignorées et impulser un développement solide ne peut se faire en dehors de ce socle construit par un nombre incalculable de générations. Dans la gestion du foncier rural, plus que dans tout autre domaine, le rôle de la tradition ne peut être sous-estimé. Le foncier rural est en effet l’espace où l’autorité traditionnelle est gestionnaire, gardien et arbitre. Celle-ci est l’élément moteur qui permet au foncier d’exister. Le rôle de la chefferie traditionnelle dans la gestion d’une terre nourricière devenue de plus en plus conflictuelle est central. La tradition n’est pas figée, surtout par rapport au foncier rural, mais elle évolue et épouse les réalités des populations, et cela depuis des siècles, même si certains estiment qu’elle n’évolue pas assez vite. Ainsi, plusieurs femmes sont chefs de village et la Chambre des Rois et Chefs travaille activement à l‘évolution des droits de la femme, montrant que pour ces responsables coutumiers la promotion du genre n’est pas un sujet tabou. C’est à tort que la tradition inquiète beaucoup de gens. Sa diversité la rend proche des hommes et femmes du pays. Cette diversité n’est pas un frein mais une force bien vivante. Certains qui la critiquent et veulent des modèles importés, oubliant que la tradition travaille à l’amélioration constante des conditions de vie des hommes, leur apportant aide et assistance, et ne s’assignant aucune limite dans la recherche constante de la vérité et de la justice. Dans ce contexte, doit-on continuer à opposer tradition et modernité ?

  • Traitement des litiges

La connaissance des litiges dus aux problèmes de limites des parcelles, de successions, d’absences des ayants droits, de cessions provisoires transformées en cession définitive, … doit bénéficier des méthodes propres à la chefferie pour amener paix et cohésion sociale. L’instruction des conflits avec les chefs de famille, de village, de canton et même le roi, se fait selon un processus précis. Une première réunion met en présence les parties en litige, ainsi que les sachants, personnes neutres et témoins crédibles qui détiennent l’histoire de la terre. Puis c’est l’audition des protagonistes, suivie d’une sortie sur le terrain. De retour au village, les informations sont mises en commun et les protagonistes écoutés à nouveau. Une fois les conclusions rendues, les fautifs sont amendés. L’équipe des sachants procèdent alors à la rematérialisation des limites. Cette démarche a l’avantage de renforcer la cohésion sociale et de désengorger les tribunaux puisque 90 % des conflits sont réglés par la médiation traditionnelle. Les autorités traditionnelles sont des cadastres vivants et sont incontournables pour légaliser les droits coutumiers sur les terres rurales. Le cercle vertueux Etat-autorités traditionnelles existe déjà mais doit être consolidé, au service de la paix sociale et de la sécurité. Si la gouvernance locale est forte, l’Etat sera plus fort dans sa mission. L’implication de l’Etat et des autorités coutumières, aux côtés des techniciens (experts, géomètres, arpenteurs, …), est nécessaire pour aider à la délimitation villageoise et réduire son coût. Enfin, si la création des commissions villageoises est importante, il faut également une commission foncière de règlement des litiges.

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