AGNIBILEKROU : REDECOUVERTE D’UNE RICHE HISTOIRE

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AGNIBILEKROU : REDECOUVERTE D’UNE RICHE HISTOIRE

Agnibilékrou, ville de 45 000 habitants, est le chef-lieu du département du même nom. Avec deux autres départements (Abengourou et Béttié), ils constituent la Région de l’Indénié-Djuablin, située dans le centre-est de la Côte d’Ivoire. Le département d’Agnibilékrou correspond à l’ancien royaume du Djuablin, structure traditionnelle encore vivante et dont les institutions sont très respectées par la population.

  • Géographie

Le royaume Diabè (ou Djuablin), dont les limites correspondent à celles de la sous-préfecture d’Agnibilékrou, est compris entre le fleuve Comoé à l’ouest et la frontière du Ghana à l’est, entre le royaume Abron de Bondoukou au nord et le royaume de l’Indénié au sud. Les Diabè sont organisés en un royaume centralisé et hiérarchisé, qui a toujours constitué un petit Etat en comparaison de ses puissants voisins (Abron, Ashanti, Indénié) face auxquels il a su pourtant garder son indépendance. Le royaume du Diablé est peuplé principalement d’Agnis Djuablin et d’Agni Abbès (Agboville) mais aussi d’Abron (Bondoukou) et de ghanéens. Le roi des Djuablin est Nanan Agninibilé II, intronisé le 30 décembre 1984. Agnibilekrou est un exemple de ce que la Côte d’Ivoire a toujours été en termes de diversité culturelle et religieuse. Musulmans, chrétiens et adeptes des religions traditionnelles y vivent ensemble. Autre particularité : le département d’Agnibilékrou abrite les monastères d’Aniassué et de Tanguelan qui forment les prêtres traditionnels que l’écrivain Jean-Marie Adiaffi évoque dans ses oeuvres.

● Départ du Ghana

Ce sont les travaux de Sié Koffi qui nous permettent de bien comprendre l’histoire des Agni-Djuablin (ou Agni-Diabés). La tribu Zéma des Odomara (ou Assuamara) habitait au nord du Dankira, à l’ouest de Koumassi, dans un pays appelé Adesya. Le chef de cette tribu, Kouassi, à la suite d’un différend avec Osiri Ebwa, chef des Amansi, près de Koumassi, le fit empoisonner, en1697. Touton, neveu d’Ebwa et fondateur de la tribu des Achanti, partit en guerre contre les Assuamara vers 1700 et les força à passer le Tanué, à l’ouest du Ghana. Après une longue errance, les Assuamara arrivèrent en un lieu où ils trouvèrent de l’or. Ils donnèrent à cet endroit le nom d’Assikasso ou « endroit de l’or ». Les Assikasofué (habitants d’Assikasso) sont donc des Zéma, mélangés d’Akan.

  • Alliés des Abrons

Plusieurs années après leur arrivée, une guerre se déclenche entre les Abrons et les gens de Bouna. Les Abrons demandent de l’aide aux Assikasofué qui répondent présents. Une fois la victoire acquise, les Abrons manifestent leur reconnaissance aux Diabés en leur léguant un territoire inhabité aux alentours du Basso. C’est là que les Diabés s’établissent définitivement. Leur chef est Bradou Assamandje que tous les Diabès reconnaissent comme l’ancêtre fondateur. A sa suite, douze rois se succèdent : Assemian Kouadiani, Kpangni Kouamé, Ettien Kouassi, Ahua Kotki, Koffi Nango, Agnili Bilé (c’est lui qui en 1880, juste avant la pénétration française, transfère la capitale d’Assikasso à Agnibilékrou), Yéo Foum, Ahua Karao, Kablan Aoussi, Nda Kouassi et Kouao Bilé, ce dernier ayant régné de 1935 à 1984, avant l’actuel Nanan Agninibilé II.

  • La royauté Diabé

La royauté des Agni-Diabé est en tous points celle des Agni en général. Choisi parmi les descendants matrilinéaires des fondateurs, le roi est l’arbitre suprême, l’intermédiaire entre les ancêtres et les vivants. Il est le chef des armées et le dernier recours en matière de justice. Ses seules limites sont imposées par le pouvoir divinatoire des sorciers et des devins sacrificateurs. Aux côtés du roi se tient le porte-canne. Ministre des affaires intérieures, porte-parole du roi, il était ambassadeur à l’étranger et pouvait même être chef militaire en cas de conflit. Au niveau du village, la même organisation que celle du royaume se répète. Les chefs de village sont choisis parmi les descendants matrilinéaires des fondateurs. Ils n’ont de compte à rendre qu’au roi mais, en réalité, le peuple peut contester leurs ordres s’ils ne sont pas conformes aux coutumes. Le respect qui leur est marqué est donc dû, avant tout, à leur fidélité aux règles laissées par les ancêtres et non à une quelconque peur. L’adhésion du peuple à ses chefs est donc volontaire et bien comprise dans l’intérêt de toute la communauté. Le panthéisme animiste de la société Diabé admettait autant de dieux que l’imagination individuelle et collective pouvait en concevoir.

  • Fête des ignames

Une importante célébration était, et reste encore, la fête annuelle des ignames. Elle avait toujours lieu un vendredi. Elle était précédée par la cérémonie du Tanosso dédiée aux génies du fleuve Tanoé qui avaient protégé les anciens dans leur migration. Le roi était accompagné en procession jusqu’au marigot où avait lieu le lavement de ses pieds. Puis tous les chefs et hauts dignitaires se retrouvaient dans la grande cour royale où on battait successivement l’ » atollqblan » ou tambour d’appel, le « nktchel » ou tam tam panthère (car son son imitait le rugissement de la panthère), et enfin le « kinian-pli » ou tam tam royal. La fête des ignames était également consacrée à l’adoration des fétiches locaux et dieux tutélaires, ainsi qu’à celle des chaises sacrées. Les nombreux contacts des Diabé au cours de leur migration ne modifièrent pas fondamentalement leur organisation sociale et politique.

  • Arrivée des Anglais

Depuis le début du 19è siècle, les Britanniques étaient en conflit avec la confédération Aschanti avec laquelle ils finirent par signer un traité de paix en 1874. S’ensuivit alors un essor prodigieux de la production et de la commercialisation du caoutchouc. Après une période d’exploitation intense, les forêts Aschanti s’épuisant, les entrepreneurs de caoutchouc ghanéens s’installèrent en pays Diabé. Un courant commercial de pains de caoutchouc de 30 kg s’établit alors en Assikasso et Cape Coast. Les traitants de Cape Coast installèrent même des comptoirs à Assikaso. Les commerçants français installés à Assinie commencèrent à s’inquiéter des intentions annexionnistes anglaises. L’objectif des français devint alors de couper les gens de l’Assikasso de l’orbite Aschanti. L’annexion de l’Indénié constitua une étape pour la soumission de l’Assikasso. La signature des traités du 13 mai 1887 avec le roi Benié Kouamé du Bettié et du 25 juin 1887 avec le roi Amoikon Dihié de l’Indénié devait mettre le centre de la Côte d’Ivoire à l’abri de la convoitise britannique. La conquête de tout l’espace compris entre Assinie et Kong, via Bettié, Indénie, Assikasso et Bondoukou devint une priorité française.

  • Pénétration française

La pénétration française dans l’Assikasso fut conduite par Clauzel et Lamblin. Elle constituait une étape avant la conquête de Bondoukou. L’annexion pacifique se fit de 1892 à 1897. Un premier contact de Binger avec les Diabé eut lieu en janvier 1889 sous le règne du roi Agnini Bilé. Après des discussions, les chefs acceptèrent d’accueillir les français dans l’Assikasso. Deux motivations les guidèrent : les « blancs » ne pourraient les concurrencer dans le travail de la terre ; ils (les français) leur avaient promis leur aide en cas de conflits avec les voisins. Le cercle de l’Indénié fut créé en juillet 1898, comprenant Bettié, Indénié et Assikasso. Un poste français fut installé à 4 km d’Agnibilékrou.

  • Guerre

La guerre de l’Assikasso (29 avril-2 juillet 1898) marqua la fin de la pénétration française pacifique dans l’Est de la Côte d’Ivoire. Le conflit fut l’aboutissement d’une série de maladresses des autorités françaises et de la volonté des autorités locales et des commerçants Agni et Aschanti de caoutchouc de s’affranchir de la tutelle française et de sa prétention à vouloir réorganiser le circuit économique existant. Le rapport de force fut en faveur des français et, le 9 juillet 1898, Ahua Kouao, second roi des Diabè, vint faire soumission aux autorités du poste française. La répression française fut brutale. Les commerçants ghanéens de caoutchouc durent repasser la frontière. Le roi Yao Foum d’Agnibilékrou, le chef Nanou de Manzanouan et le chef Boadou de Nianda-Boadoukro furent exécutés le même jour. Ce jour où les Diabè durent ensevelir les trois cercueils de leurs chefs continuent aujourd’hui encore d’être un souvenir douloureux et un sujet tabou qu’ils tentent d’exorciser de leur histoire. A tel point qu’en cas de force majeure, on continue de jurer « par les trois cercueils » et le cas est automatiquement porté devant la cour royale. Par leur silence, les Diabè espèrent encore pouvoir effacer de leur mémoire ce drame historique et des offrandes expiatoires sont faites pour éloigner le spectre de ce jour maudit.

  • Captifs

Les Agnis-Djuablin (ou Diabé) avaient des esclaves, presque tous d’origine Sénoufos mais pour une période qui fut de courte durée (1875 à 1898). Depuis 1879, Samory Touré avait entrepris de constituer un grand empire malinké. Ceci avait entraîné la mise en captivité des populations Sénoufos qui étaient ensuite échangées avec les gens de la forêt contre de la poudre d’or qui permettait à Samory d’acquérir des armes et munitions à la frontière de la Sierra Leone. En 1898, année de la défaite de Samory Touré (et des Diabé), les autorités françaises affranchirent les captifs Sénoufo. Nombre d’entre eux s’installèrent dans un village qu’ils créèrent et nommèrent Diambouroubougou (ou Assikasso-Diambourou) ou « village des affranchis ». Ce village existe toujours, habité par les descendants des captifs sénoufo affranchis. Cependant, la plupart des affranchis choisirent de rester dans la famille de leurs maîtres dont ils étaient devenus partie intégrante. Ils s’étaient rapidement insérés dans leur famille d’accueil et pouvaient même s’élever dans l’échelle sociale par le travail et la richesse. Finalement, très peu choisirent de repartir dans leur pays, après la défaite de Samory et la pacification du pays Sénoufo.

  • Economie coloniale

La défaite du 2 juillet 1898 marqua le début de l’entrée de l’Assikasso (ou de l’Agni-Djuablin) dans l’ordre colonial. L’occupation militaire de juillet 1898 à juin 1903 mit en place les prestations obligatoires (corvées, impôts de capitation et patentes diverses) nécessaires à l’économie de traite. Parmi les corvées, les plus craintes étaient celles destinées à la création des routes, dont celles d’Agnibilékrou à Abengourou, et d’Abengourou à Agboville. Le portage était également redouté. Les impôts et taxes, qui étaient ceux institués dans toute l’AOF, furent un moyen de développer les cultures d’exportation. Jusque-là, les Diabé s’étaient surtout consacrés aux cultures de subsistance, le commerce du caoutchouc étant surtout le fait des Aschanti jusqu’en 1896. Introduit en Gold Coast par les anglais dès leur conquête de 1873, le cacao fut réellement lancé par l’administration française à partir de 1914 par le gouverneur Angoulvant, relayé dans l’Indénié-Djuablin par l’administrateur Louis Clerc. Le roi Nda Kouassi d’Agnibilékrou, qui régna de 1920 à 1933, aida à faire adopter la culture du cacao et celle du café. La culture du café-cacao accrut la polygamie. Malgré cela, l’extension des plantations et des travaux à accomplir dépassa rapidement les capacités des familles qui virent d’un bon œil l’arrivée de la main d’œuvre étrangère. Les exportations de cacao de la Côte d’Ivoire augmentèrent rapidement. Elles passèrent de 75 kg en 1900 à 1036 tonnes en 1920 et 55 000 tonnes en 1939. Les premiers centres de vente furent Aboisso et Agboville. Ce n’est qu’en 1927 qu’Abengourou devint un centre d’achat, suivi par Aqnibilékrou en 1932. Les Diabé furent ainsi parmi les premiers habitants de la Côte d’Ivoire à se convertir à l’économie de rente du café-cacao.

  • Nouvelles institutions

Le nouvel ordre colonial fut marqué par la création de nouvelles institutions : les impôts et taxes apparaissent ; en justice, le droit civil français se substitue aux règles coutumières ; les chefs, en plus d’être les représentants de leur communauté, deviennent les porte-paroles de l’administration coloniale : la justice traditionnelle réparatrice est remplacée par la justice coloniale punitive ; les recrutements de soldats se font massivement en 1914 et 1939 ; la primauté de l’individu prime sur celle de la famille ; l’école obligatoire est introduite, les meilleurs élèves des écoles de villages (Abengourou, Agboville, Bondoukou, Tiassalé) étant dirigés sur l’école régionale d’Agboville puis 1’Ecole Primaire Supérieure de Bingerville, et enfin l’Ecole Normale William Ponty ; l’islam, venue avec les commerçants Haoussa, devient la religion du roi Kouao Bilé qui fait construire deux mosquées à Agnibilékrou ; le premier prêtre missionnaire parvenu dans l’Indenié est le Père Kirmann vers 1928, suivi quelques années après par les missionnaires. Ils fondèrent la paroisse Saint-Maurice en 1950. Le vrai ancrage local correspond avec l’arrivée de l’Abbé Kpaka, premier prêtre ivoirien.

  • Conclusion

Les grandes étapes de l’histoire des Agnis-Djuablin (émigration du Ghana en 1700, arrivée dans le pays actuel en 1750, répression coloniale en 1898, entrée dans le système colonial à partir de 1920) ont été traversées par un élément stable, celui de la royauté et de ses institutions. Après une période où la nouveauté et le progrès technique semblent avoir été magnifiés, l’homme Diabé d’aujourd’hui trouve approprié de se tourner vers la sagesse traditionnelle léguée par les anciens pour trouver des réponses philosophiques et pratiques aux défis que la modernité lui impose. Comment, le Diabé contemporain peut-il concilier sa culture traditionnelle avec le nouveau paradigme de la mondialisation qui envahit l’espace humain ? Commentpuiser dans la spécificité locale pour lutter contre l’uniformisation globale ? Comment concilier l’humanisme et la matière au lieu de les opposer ? Comment faire que progrès et traditions s’enrichissent réciproquement ? Comment cesser de voir la modernisation comme une perte de richesse intérieure ou un déracinement, mais au contraire en faire une fondation nécessaire à l’épanouissement des savoirs ancestraux ? Plutôt que de vivre en conflit avec la modernité, comment marcher avec elle en intégrant les sagesses transmises par les ancêtres ? Aujourd’hui, après ce magnifique voyage fait en famille à Agnibilékrou, je fais la prière d’une réconciliation entre la jeune génération africaine et celle de ses ancêtres.

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