LE STIGMATE DE LA COULEUR
Conférence de Patricia Braflan-Trobo
le 10 novembre 2011 au Fleur d’Epée
Jeudi 10 novembre 2011, le Fort Fleur d’Epée au Gosier a abrité une conférence donnée par Madame Patricia BRAFLAN-TROBO (PTB) au cours de laquelle elle a présenté son dernier ouvrage, paru aux éditions Nestor : « Couleur de peau, stigmates et stéréotypes : impact sur l’identité sociale en Guadeloupe ». L’assistance nombreuse et attentive ainsi que le débat animé qui a suivi l’exposé de PBT ont montré combien la recherche identitaire continue d’être au coeur de la société guadeloupéenne et l’interroge sur sa capacité à introduire en son sein plus de liberté de conscience et de justice, et à combattre la fatalité des destinées.
PBT est chargée de mission au Pôle Emploi. Elle est professeur et consultante en gestion des ressources humaines et management. Ses interventions ont pour but d’aider à comprendre et à dépasser le poids et l’impact de l’histoire de la Guadeloupe dans les relations de travail, plus singulièrement dans les activités de management. Son travail met en exergue le lien fort qui existe entre histoire, culture et revendication identitaire dans les conflits du travail en Guadeloupe, lesquels dépassent souvent les considérations catégorielles et rejoignent les oppositions entre classes sociales et raciales. La prégnance du facteur socioracial dans ces conflits montre que les solutions ne peuvent qu’être propres à une gestion spécifique au monde du travail guadeloupéen.
1. Le poids de la couleur
Dans son dernier ouvrage, « Couleur de peau, stigmates et stéréotypes », PBT analyse le poids de la couleur de la peau sur l’élaboration, la transmission et l’intégration des stéréotypes. La référence à la couleur est un élément essentiel dans une société post-esclavagiste où elle constitue un stigmate conférant une identité sociale négative. PBT étudie les conséquences des stéréotypes de dévalorisation de l’homme noir, sur les problématiques de management dans la société guadeloupéenne dont 90 % des membres sont d’ascendance africaine. PBT analyse également les conditions de l’évolution des modalités de gestion d’une société esclavagiste où l’homme noir avait le statut de bien de production, vers une société moderne où il lui est demandé d’être une ressource humaine. PBT démontre que les théories occidentales de management ne sont pas universelles et qu’il revient à chaque pays de produire, à partir de son histoire, sa culture, son économie, sa dynamique sociale, … un modèle de management qui lui soit endogène.
Facteur irréductible de l’identité sociale des afro-descendants, la couleur de la peau est un codeur sémantique qui ordonne et classe les qualités. La couleur de la peau, qui relève de l’ordre de la vue, se substitue à l’ordre social et fait apparaître le noir comme la pire des difformités. Plus le clair est beau, plus le foncé est laid. La couleur noire être attachée à des caractéristiques négatives et infériorisantes qui nous détournent de l’homme « de couleur » et détruisent ses droits. La personne n’est pas abordée en terme de compétence mais de couleur de peau. En enlevant à l’homme noir les conditions pour exercer ses missions, on détruit sa confiance en lui et son auto-estime. On mine ses capacités réelles, mettant ainsi en place les prophéties autoréalisatrices et la contamination du discrédit à tout le corps social. Les valeurs blanches sont érigées en valeurs universelles. Le noir en vient à se détester : c’est la négrophobie du noir.
2. Transformer et non perpétuer
L’analyse de PBT doit aider chaque guadeloupéen à puiser en lui la volonté et la force de donner un sens nouveau à son existence, à explorer avec détermination les moindres détails de sa souffrance, à comprendre la perturbation introduite par le stigmate de la couleur dans ses rapports avec la société et avec lui-même et à ne plus se conformer aux prescriptions du monde qui l’entoure et le conditionne négativement.
Le travail de PBT témoigne en faveur de tous ceux qui sont paralysés par le stigmate de la couleur de peau, lequel veut leur faire croire qu’ils seraient marqués par un mal honteux qui les frapperait au cœur de leur identité. En intégrant les données de l’esclavage, jusqu’ici ignorées par les études de management, dans les principales techniques relatives à l’organisation du travail en Guadeloupe, l’œuvre de PBT aide le guadeloupéen à se libérer du besoin de se comparer et à contester les choses qui lui sont racontées.
Pour l’homme guadeloupéen, il ne s’agit plus seulement de se demander d’où il vient, de quoi il est constitué et où il va, mais de questionner, voire de remettre en cause, les outils, les cadres, mais aussi les comportements, les attitudes, en un mot tout ce qui permet de répondre à de telles questions. La nécessité d’approfondir et d’affiner son vécu est ainsi la condition pour transformer le monde et non pas seulement de le perpétuer.
Pascal Gbikpi