Rebâtir l’altérité culturelle de la Guadeloupe : entretien avec Paulette Jno-Baptiste

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GUADELOUPE : REBÂTIR L’ALTERITE CULTURELLE
Entretien avec Paulette Durizot Jno-Baptiste

 

Paulette Durizot, épouse Jno-Baptiste, est docteur en anthropologie de l’éducation de l’Université des Antilles et de la Guyane (UAG). Deux missions académiques lui ont été confiées :  professeur des écoles, correspondante académique du réseau des écoles associées à l’Unesco (de la maternelle au lycée), et coordonnatrice des Cahiers Créoles du Patrimoine de la Caraïbe/Pawol maké asi mès é labitid an péyi karayib. Elle a contribué à la dynamique de deux groupes de recherche :  le Centre d’Etudes et de Recherches Caraïbéennes (CERC) de l’UAG et le Centre de Recherches et de Ressources en Education et en Formation (CRREF) de l’IUFM. Mme Durizot Jno-Baptiste est l’auteur de l’ouvrage « La diversité culturelle dans les écoles en Outre-Mer. Les leçons post-coloniales de l’humanisme », qui propose une réflexion sur le modèle éducatif français dans le développement des individus et des sociétés d’Outre-Mer, et aborde plusieurs questions de fond : quelles sont les conditions pour que l’école dans nos régions soit un lieu de prise en compte de la diversité culturelle et de partage des grandes valeurs de la république ? pour qu’elle contribue à forger l’estime de soi et la reconnaissance, moteurs de sociétés démocratiques et humanistes ? pour qu’elle facilite le respect réciproque entre identité nationale et identité des outre-mer ?

1. Diversité et altérité culturelles

La diversité culturelle de la Guadeloupe constitue la marque de sa société et la reconnaissance de cette diversité constitue la base de son épanouissement. Rebâtir l’altérité culturelle est le grand défi que la Guadeloupe se doit de relever si elle veut mettre en place, pour elle et ses citoyens, un développement véritablement durable et viable.

Chaque culture est un trésor pour l’humanité car elle est une clé pour mieux comprendre l’homme et le milieu dans lequel il évolue, pour mieux comprendre l’homme tel qu’il est dans sa diversité, bref pour permettre à la condition humaine d’exister. Ceci implique de renoncer aux préjugés, postulats, stéréotypes qui emprisonnent l’homme et l’empêche d’être ce qu’il est et d’apporter à l’humanité ce dont elle a besoin pour être ce qu’elle est. La Guadeloupe est l’école par excellence de la diversité culturelle, le lieu d’apprentissage de la rencontre de l’autre et avec l’autre, le lieu où chacun peut apprendre à guérir de l’ignorance de l’autre et lui faire prendre conscience de la grandeur de l’homme. L’humanité ne pourra advenir à ce qu’elle est que lorsque chaque culture aura compris sa responsabilité dans la construction de l’universel à travers l’acceptation de la différence et la reconnaissance d’autres modes de pensée et de vie. Pour cela, il faut apprendre à vivre ensemble dans la différence et ne rejeter aucune culture de la société guadeloupéenne. Cela suppose d’accepter d’apprendre de l’autre et de mieux se connaître afin de mieux connaître l’autre.

La Guadeloupe est une pierre précieuse car elle enseigne au reste du monde la difficulté mais en même temps la grandeur de l’unité dans la diversité. Elle dit la capacité de toutes les cultures à dire le monde et à proposer un regard sur l’univers, complémentaire des autres regards. En établissant des passerelles entre les diverses composantes et cultures de l’humanité, la société guadeloupéenne éduque au langage de l’interculturel, de l’ouverture à l’autre et aux autres, et de la réconciliation des différentes cultures.

2. Construire le vrai universalisme

Pour construire le vrai universalisme, lequel ne peut partir que de la reconnaissance des différences culturelles sur son territoire, la Guadeloupe doit aider les membres de cultures dévalorisées à corriger leur regard sur leur propre culture. C’est la condition pour permettre de cultiver un sentiment de fierté du peuple guadeloupéen, de ce qu’il est et de sa diversité.

La monotonie culturelle est un chemin de mort pour l’humanité. Seul le respect de la pluralité permettra aux sociétés de construire un monde plus respectueux de la diversité des cultures et d’affronter les défis des siècles à venir. L’ensemble des cultures du monde sont autant de trésors nécessaires à la construction de l’humanité. Respecter la diversité des cultures, savoir accueillir tous les savoirs dans leur diversité et leur complémentarité, tenir compte des positions de l’autre sont autant de conditions de la justice sociale et donc de la paix.

La Guadeloupe ne vient pas de nulle part. Elle détient un savoir incommensurable qui peut aider à comprendre le monde et à l’améliorer. En elle, plusieurs continents se rejoignent et son regard sur le monde est nécessairement décentré. Elle nous invite à ne pas se laisser fasciner par les avancées scientifiques, technologiques et industrielles du monde moderne, mais à comprendre que seul le respect et le maintien de la pluralité culturelle permettra de construire un développement durable.

Aucune culture ne peut se poser en modèle dominant favorisant la dévalorisation des autres modèles. Ceci invite à accepter la diversité des modes de connaissance et d’exploration du monde, à reconnaître l’égale valeur des cultures et de leur contribution au développement de l’humanité, et à n’exclure aucun peuple de l’universel, aucune culture ne pouvant prétendre représenter l’homme à elle seule.

La Guadeloupe vit cette chance unique de partager des valeurs, des talents et des connaissances de tous les continents. Elle est le lieu où s’affirme l’urgence de ne rejeter aucune valeur culturelle, de regarder l’humanité dans sa globalité, d’accueillir la diversité des cultures et leur permettre de s’épanouir dans la confrontation bienfaisante avec la différence, et de permettre à la diversité culturelle et humaine de s’exprimer pacifiquement, en tournant le dos à une cohabitation conflictuelle. C’est nantie de ce credo que l’école en Guadeloupe permettra à ce territoire de ne pas être dessaisi de la responsabilité de concevoir et réaliser son propre modèle de société.

Pascal Gbikpi

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