RANDONNEE DANS LA VALLEE DE LA GRANDE RIVIERE
6 MARS 2011
Après avoir marché sur la route bitumée qui passe devant la Grivelière, on emprunte un chemin de plus en plus cahoteux qui traverse des champs d’agrumes et de cristophines, des jardins créoles, des plantations de cacaoyers, .. Le vert envahit progressivement le paysage et nous fait pénétrer de plus en plus dans la végétation tropicale. A perte de vue, on voit la montagne et le vert de la forêt et des champs, avec en contrebas la vallée profondément encaissée où serpente une rivière aux eaux limpides. En y descendant, on découvre des bassins naturels aux eaux limpides où se mélangent le bleu de l’eau et les couleurs des poissons. C’est la vallée de la Grande Rivière, un des lieux les plus magiques de la Guadeloupe. Le paysage est grandiose et les points de vue magnifiques. Certains la considèrent comme la plus belle vallée de l’archipel guadeloupéen et même de la Caraïbe. Cette vallée est chargée d’histoire. Pendant ces trois derniers siècles, la vallée a connu la culture du café, de la banane, du roucou et du tabac.
I.HISTOIRE DE LA VALLEE
1. Colons et nèg’mawons
La vallée de la Grande Rivière est considérée comme étant, avec la Vallée de Beaugendre, la plus grande et la plus belle de la Côte-sous-le-Vent. Un américain, Charles Chevon, après avoir survolé la vallée de la Grande Rivière, a trouvé que c’était une des plus belles de la Caraïbe.
Les premiers colons de la Guadeloupe sont arrivés à Sainte-Rose et à Vieux-Habitants. Une fois arrivés, ils s’installaient aux embouchures des rivières, pour avoir accès à de l’eau potable, puis s’implantaient tous les 15 kms en remontant la vallée. Ceci était le cas aussi bien des familles que des ordres religieux. En effet, remonter la vallée leur permettait d’échapper aux maladies (choléra, …) et de conquérir de nouvelles terres.
Quant aux esclaves, lors de l’arrivée des bateaux, ils se révoltaient souvent et fuyaient dans les bois où ils organisaient de grands camps de nègres marrons. La vallée de la Grande Rivière comportait les plus importants camps marrons de la Guadeloupe. Perchés dans les hauteurs montagneuses, ils étaient imprenables et représentaient un véritable cauchemar pour les colons car ils constituaient la base arrière des révoltes d’esclaves dans les habitations.
Les colons s’installaient sur les meilleures terres et donnaient les forêts aux nègres libres. Une fois celles-ci défrichées, les colons les récupéraient et les noirs allaient déboiser plus loin. Après l’abolition, les champs des nègres marrons ont été repris par des noirs libres. Dans les années 70, une quarantaine de familles vivaient encore sur ces terres.
2. Habitations
La vallée de la Grande Rivière abrite quelques unes des plus belles habitations de la Basse Terre : l’habitation « La Grivelière », l’habitation « Gombault Saint Onge » (encore appelée La Coulisse), l’habitation « Berlet », … La Grivelière, ancienne habitation caféière du 17è siècle, portait auparavant le nom de Caféière Saint-Joseph. L’habitation prit le nom de Grivelière cinq ans avant l’abolition de l’esclavage. Vers 1860, elle devint une rocouerie (fabrique de roucou). La matière colorante tirée des graines rouges du roucouyer servait de maquillage aux amérindiens. C’est ensuite que la culture du cacao fut développée. L’habitation redevint caféière au début du 20è siècle. Tombée en ruine, l’habitation a été réhabilitée par le Conseil Régional avec le concours des habitants de la vallée (Charles Chavoudiga, Max Darlis, Raymond Guilliod, …) soutenus par le Conseil Régional (Jean-Louis Boucard).
La Grivelière est aujourd’hui classée monument historique et est devenue un haut lieu de l’écotourisme en Guadeloupe. On peut y voir la maison du maître, les cases des esclaves, deux boucans, un hangar pour la torréfaction du café et deux moulins hydrauliques pour le décortiquage du café. Le café arabica de la Grivelière est considéré comme un des meilleurs au monde.
Les palmiers royaux marquaient l’entrée des habitations des colons et les cocotiers celle des jardins des noirs.
L’arrivée des dominicains (au lendemain de la deuxième guerre mondiale) puis des haitiens a apporté une concurrence sévère aux travailleurs guadeloupéens. Un paysan guadeloupéen pouvait transporter 7 régimes de banane poyo sur ses épaules. Les dominicains et haïtiens, plus jeunes et robustes, pouvaient en porter plus.
II. PAPA YAYA
La vallée de la Grande Rivière est marquée par le passage de Papa Yaya. En effet, au moment de sa rupture avec les autorités, Papa Yaya est venu trouver refuge pendant un certain moment auprès de Tonton Lépante, un des derniers survivants des nègres marrons, et a vécu avec lui dans une maison perdue dans la vallée.
Gérard Lauriette alias Papa Yaya s’est éteint le 17 août 2006 à l’âge de 84 ans (deux jours après son homonyme Roger Loret). Il avait repéré la complexité de l’être antillais dans la famille française. Créolophile, il avait inventé une méthode de lecture pour les enfants créolophones et publiée plusieurs ouvrages sur ce sujet : « De la lecture à la dissertation. Du régionalisme à l’universalisme. Initiation à la vie intérieure », « L’enseignement du français à partir du créole », « Du vocabulaire créole-français à la rédaction française », …
Il avait monté sa propre école en faveur des enfants exclus du système scolaire français. Elle n’était pas conventionnée par le système français mais tous les élèves qui ont sortaient ont eu leur certificat d’étude, leur BEPC et leur bac. Il a rendu le sentiment de leur dignité à beaucoup d’enfants pauvres qui ne parlaient que le créole. Il leur a permis d’apprendre la culture du blanc à partir de la culture créole. Il a révélé à beaucoup que la créolitude était une force mentale et une richesse intérieure. Regardant l’élève perdu droit dans les yeux, il le rebâtissait. Il prenait les enfants en difficulté et leur expliquait tout en créole et les faisait réussir au certificat d’étude. Comme tous les pionniers, il fut souvent incompris de ses contemporains. On le surnomait « le trouble fête du consensus ».
L’Education Nationale le déclara déchu de poste pour son parler créole et sa pédagogie adaptée aux petits guadeloupéens. Son procès contre l’Etat pour sa réintégration n’aboutit jamais. Il continua alors sa vie en libre penseur, écrivain-pédagogue, éducateur. En 1983, il fut élu maire de Capesterre-Belle-Eau.
Homme extrêmement cultivé, il exaltait la culture orale, intuitive, celle des sages d’Afrique, des griots, de l’échange fraternel au pied du baobab, au coeur du village africain (sur la « terre mère ») tellement plus sympathique et efficace pour la vraie connaissance que cette culture de l’écrit, livide et glacée « venue du pays des blancs, venue du froid ». Pour lui, les descendants d’Africains avaient tout à apprendre aux prétentieux leucodermes. Il élaborait par lui-même des concepts dans tous les domaines : mathématiques, physique, lettres, … Il a ainsi inventé un système d’abaco solaire. Il pensait que l’inventivité des gens était handicappée par des façons toutes faites de réfléchir, importées de l’extérieur et imposées par la culture dominante.
Il avait inventé la théorie des « bras ballants », ces jeunes sortis du système scolaire conventionnel mais qu’il était parfaitement possible d’intégrer en développant un savoir basé sur les connaissances issues de leur environnement quotidien. Il faut visiter le musée de Papa Yaya, lieu extrêmement enrichissant. Papa Yaya a écrit « Les Nègres Marrons de la Guadeloupe », un ouvrage indispensable pour mieux comprendre la vie de ces ancêtres. Lorsque Papa Yaya était en rupture de banc de la société, il a demandé à Gérard Loriette de le cacher dans les hauteurs de Vieux-Habitants. Une des belles pensées de Papa Yaya était « Le fort protège le faible, unissons-nous ».
Dans son livre « Les mésaventures d’un maire français ou comment opère en Guadeloupe le gang Jacques Foccart », son franc parler éclate : « Jacques Chirac, maire de Paris et Premier Ministre a deux maîtres : Maillard, Secrétaire Général de la Mairie de Paris et Foccard, chef du RPR. Le 2 juin 1967, le gang Jacques Foccard me fit arrêter et emprisonner à Paris. Le er mars 1968, je retrouvais ma liberté par un arrêté de la Haute Cour de Justice (Cour de Sûreté de l’Etat). A mon retour en Guadeloupe, je fus battu, emprisonné, pour avoir crié ‘Maillard, crapule’. M. Maillard était à cette époque SG de la Préfecture de Guadeloupe. En 1980, Maillard revint en Guadeloupe comme préfet. Mes démélés administratifs conduisirent à la fermeture de mon école ». En 1975, il publie « Prisonnier politique des français. Un homme de couleur antillais a tenu en échec le gang Jacques Foccart ».
III. LA FAUNE ET LA FLORE
La vallée de la Grande Rivière abrite un des plus riches patrimoines naturels de la Guadeloupe, avec de nombreuses espèces endémiques à l’archipel. La vallée de la Grande Rivière se trouve en effet à la limite de la Côte-au-Vent (humide) et de la Côte-sous-le-Vent (sèche). Les alizés, vents chauds et humides venus de l’est, soufflent sur la Grande Terre sans y déverser leurs pluies, puis se heurtant aux massifs montagneux de la Basse-Terre, déchargent leurs précipitations sur la Côte-au-Vent, épargnant la Côte-sous-le-Vent. Des climats aussi contrastés entre les deux côtes entraînent d’importantes variations de la végétation naturelle. On peut ainsi voir dans la vallée de la Grande Rivière à la fois des espèces des régions sèches (forêt xérophile), comme les gommiers, et la végétation des zones humides (forêt de type équatorial) avec des lianes, orchidées, philodendrons, magnolias, …
1. Faune
Le totobois (pic noir de la Guadeloupe) est une espèce endémique à la Guadeloupe. Il est le seul oiseau qui grimpe le long des troncs d’arbre. Il s’arrête alors, frappe alors avec son bec sur le tronc, de façon rapide et répétée, pour en extraire des larves, termites, fourmis, anolis, etc … Ceci explique que sa queue est très développée (car pour frapper avec son bec il s’appuie sur elle) ainsi que sa boîte cranienne (car sa tête propulse son bec contre le tronc). Il apprécie aussi les fruits (papaye, mangue, …).
2. Flore
La Vallée de la Grande Rivière compte une flore très variée.
La « Graine de l’homme » est un fruit très rare en Guadeloupe. On le trouve à Sainte-Rose et Deshaies.
Pour apprécier pleinement le cacao, il faut le préparer de la façon suivante. On ouvre la cabosse (c’est l’écabossage). On peut alors sucer les fèves entourées d’un mucilage blanc très sucré. Après avoir laissé sécher les fèves, on les fait griller. Puis on les écrase (pile) dans un mortier pour les réduire en poudre. On ajoute de la muscade, de la vanille ou de la canelle. On roule alors le mélange sur une pierre plate. La chaleur de la friction libère des huiles et on obtient une pâte à laquelle on peut donner une forme de bâton.
L’herbe charpentier est originaire d’Amérique tropicale. Cette plante est cultivée dans la Caraïbe pour ses vertus médicinales. Traditionnellement, l’herbe charpentier est utilisée pour ses vertus cicatrisantes, et contre la toux, les douleurs d’estomac, les rhumatismes…
Le bois d’Inde, de son nom scientifique pimenta racemosa var racemosa, est une plante endémique du Bassin Caraïbe. Cette plante était connue des navigateurs fréquentant les Antilles avant même l’époque de la colonisation, en tant que plante aromatique, utilisée en condimentation comme le laurier. De fait, l’un de ses noms vernaculaires est « quatre épices », en anglais « four spices ». Il a été distillé vers la fin du 19eme siècle à Terre de Bas, puis dans d’autres communes de la Guadeloupe. Puis les activités de transformation du Bois d’Inde ont cessé en Guadeloupe. Cela s’est réduit de nos jours à deux ou trois unités de production de bayrum, utilisant l’huile essentielle de bois d’Inde distillée à la Dominique. Il existe trois types chimiques de Bois d’Inde, d’après les molécules qui dominent dans chacun des trois types : un type girofle dominant, un type citronnelle, secondaire, un type anis, plus rare. Chacun de ces types a son activité propre qu’on ne peut confondre avec les autres. Ce qu’on peut faire avec le Bois d’Inde girofle ne peut être obtenu avec le Bois d’Inde anis ou le Bois d’Inde citronnelle. Les produits à base de Bois d’Inde sont fabriqués à Terre de Bas et distribués par l’association LE MAPOU (0590 99 85 47, 0690 40 32 09, gerard.beaujour-sebi@wanadoo.fr).
Dans la Vallée de la Grande Rivière, les lianes sont très nombreuses. Il y a plus de 70 variétés de lianes en Guadeloupe dont plusieurs se trouvent dans la vallée de la Grande Rivière.
Le bélanger est fréquent. Sa graine se vend 13 euros/kg en Europe.
La pelure de l’abricot-pays dégage de l’éthylène qui accélère le mûrissement des fruits (banane, …). On laisse macérer ses graines dans le rhum puis on frictionne le dos du chien pour éliminer les tiques et les puces.
Le châtaigner pays fournit une écorce qui mise autour de la ceinture dégage une substance anti-inflammatoire excellente contre les lumbagos.
L’écorce de plusieurs arbres offre des fibres très solides servant à fabriquer des cordes incassables.
L’ylang-ylang est un arbre dont l’essence des fleurs sert à la préparation de parfums de luxe. Il a été rendu célèbre avec le parfum « Bois des Iles » de Coco Chanel et « Joy » de Patou.
La vallée de la Grande Rivière recèle de très nombreuses plantes dont les vertus étaient bien connues des anciens. De nos jours, la nature est à nouveau mise à contribution pour améliorer notre confort et notre bien-être (cf Dr Joseph).
IV. CONCLUSION
Cette magnifique ballade dans la vallée de la Grande Rivière ne donne qu’une idée infime de l’immense patrimoine naturel, historique et culturel de la Guadeloupe. Redécouvrir ce patrimoine est une des clés qui permettra à l’homme guadeloupéen de se réconcilier avec lui-même et de comprendre l’extraordinaire richesse spirituelle et morale qu’il porte en lui. Guéri, il pourra alors poser sur le reste de l’humanité un regard constructif et aider celle-ci à se libérer de ce terrible matérialisme contemporain qui aliène l’être humain et le détourne de sa vraie vocation. Quelle est cette vocation ? C’est de vivre la liberté dans la vérité et la recherche du bien, d’accepter d’être lié à ses frères par un destin commun, de prendre conscience de sa dignité transcendante afin d’atteindre le sommet de son humanité, de comprendre que seul l’amour de nous-même et des autres nous constitue en nous faisant découvrir notre valeur et nous permet de nous réaliser en nous dépassant.
Pascal Gbikpi