La patrimoine caché de Baillif

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LE PATRIMOINE CACHE DE BAILLIF

A l’initiative de l’Association pour la Sauvegarde du Patrimoine de la Guadeloupe (ASPG) et de l’Association des Architectes du Patrimoine (AAP), la journée du 19 juin 2011 avait pour but de faire découvrir la diversité du patrimoine rural de Baillif. Cette action s’inscrivait dans le cadre de la Journée des Patrimoines et des Moulins et de la Journée du Patrimoine de Pays. Cette dernière en est à sa 14 ème édition au plan national et était consacrée, cette année, au «patrimoine caché». La Journée du Patrimoine de Pays, qui s’adresse à tous ceux qui veulent faire connaître et aimer le patrimoine, les paysages et les savoir-faire traditionnels, se déroulait pour la première fois en Guadeloupe. La journée du 19 juin 2011 à Baillif était animée par M. Jean-Claude Glandor de l’Association Saint Dominique et Jardins Nègres. Quatre grands lieux ont été visités : la tour du Père Labat, l’habitation Bouvier, la bonifierie Man Lisa, l’habitation Clairefontaine et l’habitation Campry.

 

I. TOUR DU PERE LABAT

 

L’histoire de la commune de Baillif commence il y a plus de deux mille ans, avec l’installation des Amérindiens au bord des rivières. On trouve encore le témoignage de leur présence à travers les roches gravées de la rivière Duplessis à Saint Robert. Le site de la rivière Duplessis rassemble une vingtaine de roches gravées, ornées de 150 dessins. Celui de la rivière du Baillif fut découvert après le passage du cyclone Maryline en septembre 1995.

Les premiers européens habitant Baillif sont des pères dominicains arrivés en même temps que les premiers habitants de Vieux-Habitants dès 1636. Le 26 janvier 1637, Liénard de l’Olive, chargé de diriger l’expédition colonisatrice en Guadeloupe, concède aux religieux des terrains allant de la rivières des Pères (jadis appelée Rivière des Pères Jacobins) à celle du Baillif.

Un des personnages les plus connus de Baillif est le Père Jean-Baptiste Labat, missionnaire dominicain et militaire. Il arrive en Guadeloupe en 1691 et y revient en 1703. Il fait édifier la Tour du Père Labat, à la pointe des Pères, qui est aujourd’hui le dernier témoin des premiers ouvrages fortifiés de la Guadeloupe réalisés par le Père Labat sur demande du gouverneur Auget et qui devaient protéger le sud le l’île des attaques anglaises. Erigée au début du 18 ème siècle, la tour du Père Labat est haute de plus de 4 mètres, large de 13 mètres. Ses murs en pierres et en sable, sont épais de 2 mètres. La tour abritait plusieurs pièces à feu canons de douze livres et mousquetons) et une douzaine d’hommes pouvait s’y tenir. La fortification n’a pas fonctionné car les Anglais prirent Baillif par l’arrière pays, et non par la mer, en 1703.

Le Père Labat fait également planter, en haie défensive, des raquettes à piquants. Il s’agit d’une variété de cactus formant des buissons denses dont les épines sont de véritables hameçons. Le passage d’une personne dépolarise le courant magnétique de ces plantes et provoque l’éjection des épines.

La paroisse de Saint Dominique était très convoitée. En particulier, l’anse de Baillif était un site naturel idéal : le plateau littoral est peu profond (50 m) et l’eau de la mer pénètre dans l’anse sans tout inonder. De plus, le sous-sol abrite d’importantes sources d’eau douce. Pour protéger le site, les Dominicains mettent en place la batterie de Saint Dominique qui est la plus ancienne fortification de la région, bien avant celles de Vieux Habitants et de Capesterre. La batterie Saint Georges, la batterie La Madeleine, la Tour du Père Labat, la batterie Pintade, la batterie Saint Dominique, la batterie de l’Habitation Saint-Louis, le Bois Odette, … … constituent tous ensemble un système de défense efficace.

Le Père Labat était un visionnaire, intéressé par la culture de la canne à sucre. Il eut l’idée de moderniser la distillation de l’alcool avec son alambic. Il met en place, alors, de nombreuses distilleries, dont certaines ruines forment la richesse et la mémoire du patrimoine communal.

Les dominicains construisent également un aqueduc. Il sera détruit par le Conseil Général pour construire un garage en tôle. Il amenait l’eau à la boniferie.

En mai 1802, les esclaves vont porter les canons sur 6 kms à partir de Bellost, afin d’obliger Richepance à passer par la Rivière des Pères pour atteindre le Matouba. Ils font également du feu avec le « bois canon » qui, en brûlant, fait un bruit de canon et fait croire qu’il y a de vrais tirs de canon. Sur les roches gravées du Plessis, on voit encore un boulet fiché entre deux arbres. Tout cela montre l’âme guerrière des esclaves, conduits par des chefs comme Maximin.

II. HABITATION BOUVIER

Madame Marie-France Blandin-Casalan, maîtresse des lieux et historienne des arts, présente aujourd’hui l’habitation Bouvier aux visiteurs. Elle œuvre pour transformer l’habitation en un véritable joyau du patrimoine historique et touristique de la Guadeloupe.

L’habitation Bouvier a été créée en 1637 par les européens débarquant du deuxième bateau arrivé en Guadeloupe. La Montagne Saint Louis est le premier lieu d’implantation de la canne et des sucrotes en Guadeloupe. Les sucreries vont alors fleurir, accompagnées de la création d’une série d’habitations. Charles Houël confisquera l’habitation pour la donner aux colons. Il y a alors deux habitations : celle du Grand Marigot et celle du Petit Marigot, qui va de Bouvier à la mer.

L’habitation Bouvier est, avec l’habitation Bellevue, la plus complète au plan architectural. Plusieurs bâtiments de l’habitation Bouvier existent encore, presque intacts : la case à manioc (où la farine de manioc était fabriquée), la bonifierie, le boucan, … L’habitation Bouvier abrite la plus grande roue à aube en bois de la Caraïbe. Faite en amaranthe, elle pèse à sec 22 tonnes. Le moulin à corps lisse permet de repasser plusieurs fois la bagasse et d’obtenir plus de sucre. L’habitation Bouvier contient également la première colonne à distiller de la Guadeloupe, ou plutôt « les » colonnes car il y en a deux.

La ravine qui apporte l’eau à l’habitation a été construite par le Père Labat pour apporter l’eau dans les différentes sucreries-habitations de la région (Bellevue, Bouvier, Campry, Clairefontaine, …).

Le premier bâtiment édifié en dur dans l’habitation est la case à farine (de manioc). Le manioc était l’aliment de base des Amérindiens qui enseignèrent aux nouveaux arrivants sa culture et sa préparation. Les cassaves de manioc, sortes de galettes, étaient utilisées pour remplacer le pain et la farine. Le manioc devint la base de la nourriture des esclaves. Une fois épluchées, les tubercules étaient lavées puis « gragées » (râpées). Pour extraire l’acide cyanhydrique toxique qui rend le manioc impropre à la consommation, la pulpe râpée était mise sous presse plusieurs heures. Une fois séchée, elle était tamisée puis cuite à feu doux sur les platines pour que les derniers restes d’acide s’évaporent. Elle devait être constamment remuée.
Sur le territoire de Baillif, de Deshaies ou de Vieux-Habitants, on trouve encore plusieurs cases à manioc. Il s’agit souvent d’un simple hangar, parfois d’une case comme à l’habitation La Lise (Bouillante).

Il y avait des cases à vent où on se réfugiait pour se protéger des cyclones. On les prend souvent pour des cachots à esclaves, ce qui est une erreur car il n’y a jamais eu de cachot à esclave sur l’habitation Bouvier.

Dans la vie des habitations, les Amérindiens et les Africains vont apporter leur approche animiste du cosmos : la nature donne les plantes, les métaux, … et l’homme doit s’y intégrer en la respectant. Les Européens ont une conception plus matérialiste : Dieu a créé la nature pour l’homme. Ces deux approches sont à la base de la vie sur l’habitation. L’Afrique et l’Europe vont créer une culture commune, la culture créole, qui embrasse la cuisine, l’habillement, la musique, la langue, … L’écriture des Européens viendra enrichir la transmission orale héritée des griots africains et des amérindiens.

Comme chaque habitation, Bouvier a ses particularités botaniques : washingtonia (palmier du Mexique), flamboyant bleu, oiseau du paradis (fleur très colorée de la famille du bananier), ylang ylang, quenetier, … Plusieurs arbres ont de nombreuses vertus. C’est le cas du Galba, arbre majestueux utilisé dans la fabrication d’instruments aratoires ou la fabrication de pièces de charrettes à bœufs, et dont l’huile extraite des graines possède des vertus nourrissantes et anti-oxydantes exceptionnelles pour les cellules de la peau. Un autre arbre est le figuier maudit encore appelé « arbre de la communication ». Beaucoup d’acajou rouge ont été plantés. C’est le bois le plus utilisé pour les charpentes, la roue à aube, … Lorsque le café et la canne ne seront plus économiquement rentable, on installera une scierie qui sera mue par la grande roue à aube.

L’habitation est une unité autonome qui produit et commercialise du café, du sucre, de l’indigo, … Quand la coque à lambi résonne, les ouvriers se lèvent et vont cueillir le café. Chacun doit cueillir 50 kg par jour. Le café cerise est alors mis dans la déceriseuse, entraînée par une roue à aube. Le bruit de la buchette faisant sauter la badine va rythmer toute la journée. Le café est alors mis à fermenter pour débarrasser le grain du mucilage qui l’entoure. Les grains sont ensuite lavés et mis à sécher sur la terrasse du boucan. C’est alors le déparchage qui se fait grâce à un mortier, suivi du vannage et de la mise en sac. et on les met à sécher.

La maison du maître est le centre de l’habitation. Lorsqu’elle est abandonnée et délabrée, c’est le signe que l’habitation n’existe plus. Dans les habitations de Baillif (Bouvier, Bellevue, Clairfontaine, …), la maison de maître est toujours en place. La maison de maître est implantée dans un lieu qui n’est jamais choisi au hasard. Le lieu est choisi en fonction de la force des vents et des forces telluriques, lesquelles dépendent des ondes liées aux champs magnétiques et électriques, courants d’eau souterrains, réseaux métalliques, failles géologiques, etc. La maison du maître est donc censée être dans un lieu indestructible, où il fait bon et frais. La demeure est construite de façon à ce que le soleil n’y pénètre jamais. On vit à l’intérieur, pas sur les galeries. Dans la maison, il ne fait jamais ni chaud ni froid. La cuisine n’est jamais implantée dans la maison par peur des risques d’incendie. Les nègres à talent qui construisaient la maison étaient des charpentiers de marine. Ceci explique que la maison est construite comme un bateau à l’envers. On ne creuse pas de fondation, la maison étant construite sur du rocher. Les nègres à talent étaient ceux qui exerçaient un métier manuel important pour les habitations. Ils étaient menuisiers, charpentiers, charrons, forgerons, ouvriers du sucre, contremaîtres… Ils illustraient la fusion des savoir faire européens, africains et amérindiens.

Les habitations s’agrandissent par fusion à l’occasion des mariages. Ainsi, lorsque P. du Château épouse Mademoiselle Melican, les deux habitations, Deblaine-Duchâteau et Duchâteau La Coulisse, fusionnent en une seule.

Enfin, l’habitation Bouvier est le lieu d’origine des Kennedy. Ceci explique la visite de Jacqueline KENNEDY-BOUVIER en Guadeloupe peu de temps après l’assassinant de son mari. Les BOUVIER de Guadeloupe avaient émigré au USA juste avant l’abolition de l’esclavage. Lors de son voyage, Jacqueline future ONASIS se rendit à Saint-Claude sur la propriété où est enterrée la petite soeur d’Alexis LEGER. 

III. BONIFIERIE MAN LISA

 

Etienne Crane (77 ans), fils aîné de Man Lisa, est à la tête d’une exploitation agricole de 4,5 ha de café arabica bonifieur. Un kilo de ce café bonifie 20 kg de café.

Etienne Crane est Président du Syndicat Intercommunal Saint-Claude, Baillif, Basse Terre ainsi que de l’Association Syndicale d’Irrigation de Saint-Louis (ASISL) qui capte l’eau de la rivière Saint-Louis et la redistribue à travers un réseau de 40 km de canalisation dont 7 sont la propriété du syndicat. Il faut 800 à 1 000 l/s pour subvenir aux besoins en eau potable et en eau d’irrigation de la région. Le débit tombe parfois à 200 l/s, ce qui oblige à planifier et réguler la distribution.

Etienne Crane est un des initiateurs de la culture du melon en Guadeloupe. Ses premiers essais de production de melon destiné à l’exportation se sont effectués en 1981 et 1982 en collaboration avec la Sica Rennaise. En 1984, une collaboration entre MM. Crane, Boyer et Fabre s’instaure pour produire et exporter du melon produit avec le label Guadeloupe en contre-saison, c’est à dire de janvier à mai. A partir de 1986, le savoir-faire se met en place avec un cahier des charges rigoureux. En 1988, E. Crane devient le premier producteur à grande échelle du melon de Guadeloupe.

Le café Man Lisa, qui est issu de caféiers descendant des tout premiers arbustes qui ont été plantés à Sainte-Anne en 1721, est 100 % Arabica. En effet, c’est en 1721, qu’après multiplication des plants au Jardin botanique de Paris, le capitaine d’infanterie Gabriel de Clieu, installé aux Antilles, emporte deux pieds de Bourbon Pointu issus d’un arbuste offert quelques années plus tôt au roi de France par le maire d’Amsterdam. L’arrivée du café en Guadeloupe est un grand succès. Les plantations d’arabica s’y propagent rapidement ainsi que sur les autres îles, donnant naissance à de grands crus comme le Blue Mountain de Jamaïque ou le Yauco Selecto de Puerto Rico. En Guadeloupe, d’importantes plantations s’installent de Basse-Terre à Petit-Bourg. Mais c’est la Côte-sous-le-Vent, escarpée et protégée, qui s’avère être le lieu privilégié de la culture du café.

La production de café en Guadeloupe atteint 4000 tonnes en 1790. Malheureusement, le droit d’entrée mis en place par Napoléon avec l’arrêté consulaire du 22 juillet 1802, puis une maladie foudroyante en 1820, poussent les planteurs à revendre leurs terres et entraînent le déclin du café colonial français. Le café cède la place à la canne à sucre et la production guadeloupéenne s’effondre, jusqu’à 116 tonnes en 1862, sous Napoléon III. Au XXe siècle, entre les deux guerres mondiales, les tonnages remontent un peu, jusqu’à 1 200 tonnes en 1920, avant de retomber définitivement. Depuis lors, la Guadeloupe torréfiait, artisanalement certes, sa maigre production qu’elle mélangeait avec des cafés importés et qu’elle vendait sur son marché. Le café des Antilles françaises semblait donc avoir vécu. Pourtant, depuis quelques années, on assiste à la renaissance du café sur l’île. La production y est actuellement d’environ trente tonnes essentiellement destinées au marché extérieur. Grâce au soutien de l’Etat et au regroupement de petits planteurs, les exploitations de café réapparaissent et les cultures s’étendent désormais sur 150 hectares. Avec un rendement à l’hectare de 600 kilos, la Guadeloupe détiendrait un potentiel de développement de 90 000 tonnes sur les cinq prochaines années. Les coûts élevés qu’entraîne cette culture à forte main d’oeuvre ne lui permettent pas d’égaler les cafés du Brésil, d’Ethiopie ou de Colombie en termes de prix, mais la qualité de ce Bourbon Pointu lui confère une place de choix parmi les grands crus de luxe. Les atouts du café de Guadeloupe sont rares et exceptionnels : sa croissance sur un sol volcanique, l’ancienneté et la qualité de ses souches, les modes de cultures qui lui sont prodigués comme la croissance à l’ombre des bananiers, etc. Ces dernières années, plusieurs caféières historiques ont été restaurées et remises en activité dans la région de la Basse-Terre.

Le café est le deuxième produit d’importation de la France derrière le pétrole. Environ 300 000 tonnes de café sont consommées par an. Le café de Guadeloupe a donc là un débouché tout trouvé.

Le café arabica possède 44 chromosomes à la différence des autres qui n’en ont que 21. La récolte se déroule de juin à décembre, avec 3 à 4 cueillettes par saison. La croissance du café dure six mois, de la floraison à la cueillette. 30 tonnes de cerises donne 6 tonnes de café parche et 4 tonnes de café vendu. 90 % du café cerise part donc en évaporation ou en déchet. Une fois récolté, les cerises subissent une fermentation de 12 à 15 heures, un égouttage, un séchage pendant 35 heures sur une terrasse, puis une conservation d’une année. C’est ensuite le décorticage, qui aboutit au café vert, puis le triage afin d’éliminer les grains noirs. Les trieuses électroniques existent mais coûtent trop cher. De plus, elles provoquent une perte trop importante, la moindre tâche conduisant à éliminer le grain. La torréfaction, étape suivante, porte le café vert à 180 °C, éliminant 24 % d’eau (contre 19 % pour les producteurs moins exigeants en qualité). C’est une opération très délicate qu’il faut surveiller à la fraction de seconde près au risque de brûler les grains. La qualité du café se fait à la torréfaction. On laisse le café torréfié reposer 48 h avant de le moudre et de l’ensacher.

Un ouvrier récolte en moyenne 30 kg de café cerise, sur une journée de 7 heures, et revient à environ 100 euros chaque jour. Dans l’Amérique du Sud et le reste de la Caraïbe, ce même ouvrier revient à 0,80 euros pour une journée de 9 heures. Si on veut maintenir une production locale de café, il faudrait donc instaurer des prélèvement sur le café importé et créer une caisse de péréquation afin d’aider à la survie de la production locale.

Etienne Crane produit également des oranges (80 t), des clémentines (100 t), des avocats et de la vanille.

Pour E. Crane, il faut développer le territoire en mettant en valeur les ressources locales. Il faut valoriser le local pour entrer dans le global. La mondialisation a fabriqué des chômeurs au nord et augmenté au sud le nombre personnes vivant avec moins d’un dollar par jour, détruit les ressources naturelles, donné le pouvoir aux financiers et retiré aux peuples les moyens qu’ils avaient de s’autodéterminer. Face à ce constat, il faut remettre en cause les fondamentalistes de l’ouverture commerciale qui ne connaissent que la religion du libre-échange, pratiquer un protectionnisme moderne, et mettre à l’honneur les atouts et valeurs du territoire. Pourquoi acheter un produit importé qui coûte plusieurs tonnes de carburant pour être produit et transporté et dont on ne connaît pas l’origine ? Il est préférable de consommer un produit local dont on connaît où et comment il a été produit. On consomme ce qu’on ne produit pas et on produit ce qu’on ne consomme pas (banane, canne). Nous devons apprendre à produire différemment. La polyculture à petite échelle est préférable car elle réduit les risques de maladies. On a tendance à regarder le passé alors qu’il faut prendre conscience de nos atouts et valeurs et les opposer aux importations culturelles qui sont destructrices de notre patrimoine local. Les subventions détruisent le savoir faire local avec des règles qui tuent l’innovation et l’initiative. Le domaine d’Etienne Crane est au centre d’un territoire, la montagne Saint Louis et Saint Robert, ayant 300 ans de savoir-faire cultural et culturel. De ce point de vue, il est un modèle pour la Guadeloupe.

IV. CLAIRFONTAINE

L’habitation Clairefontaine au quartier Saint-Robert, à Baillif, est le lieu de naissance le 25 décembre 1745 de Joseph de Bologne de Saint-George, dit le chevalier de Saint-George.
Saint-George est né esclave en Guadeloupe, sa mère, Anne, dite Nanon (née vers 1723 au Lamentin, en Guadeloupe) étant elle-même une esclave d’origine africaine. Son père, Georges de Bologne de Saint-George (1711-1774), colon protestant d’origine néerlandaise, lui donna une éducation soignée. Il excella très jeune dans plusieurs disciplines : équitation, escrime, danse et musique.

En décembre 1747, deux années après la naissance de son fils, Georges de Bologne Saint-George doit quitter Basse-Terre précipitamment. Au cours d’une visite à son oncle Samuel de Bologne, Georges de Bologne et Pierre-Julien Le Vanier de Saint-Robert qui ont fait ample consommation de punch, en viennent à se battre en duel. Le Vanier de Saint-Robert qui semblait avoir été blessé sans gravité, meurt trois jours plus tard. La blessure provoquée par un coup d’épée a probablement entraîné le tétanos. Georges de Bologne sait qu’il va être accusé d’homicide et qu’il risque la confiscation de ses biens. Craignant que sa chère Nanon et son fils ne soient vendus avec tous les esclaves de la plantation, Georges de Bologne décide de quitter l’île et de prendre un navire en partance pour le port de Bordeaux.

Il a été bien avisé de quitter la Guadeloupe car il est condamné à mort par contumace, à la confiscation de tous ses biens et pendu en effigie sur la place de Basse-Terre en mai 1748.

Deux années plus tard, Pierre de Bologne, Conseiller du Roi, plaide la cause de son frère auprès du Souverain et obtient des lettres de rémission. Georges de Bologne peut alors retourner à la Guadeloupe et recouvrer ses biens après un séjour de deux années chez son frère Pierre à Angoulême.

En 1753, alors que son fils n’a que huit ans, Georges de Bologne décide de lui faire donner une éducation de jeune aristocrate et part avec lui pour la France. Deux ans plus tard, Nanon rejoint son fils et son mari. Quand Joseph a 13 ans, avant de repartir pour La Guadeloupe, Georges place son fils en pension chez Nicolas Texier de la Boëssière, homme de lettres et excellent maître d’armes, qui va coordonner les études du jeune Joseph et devenir son père spirituel.

La Boëssière fait de son élève un fleurettiste d’exception et dès l’âge de quinze ans, le jeune Joseph domine les plus forts tireurs. C’est incontestablement la plus fine lame de son temps, peut-être « l’homme le plus prodigieux qu’on ait vu dans les armes », dira de lui Antoine La Boëssière, le fils de Texier, qui sera l’ami indéfectible de Joseph. Il ne faut pas oublier que les aristocrates forment alors le corps social appelé « la noblesse d’épée ». Seuls les nobles sont alors dignes de porter l’épée et d’apprendre à s’en servir. Figurer parmi cette aristocratie, et à la première place encore, n’est donc pas rien. En 1761, il est admis dans le corps prestigieux des gendarmes de la garde du Roi

Saint-Georges devient rapidement célèbre pour ses remarquables capacités artistiques et sportives. Il se fit notamment connaître comme violoniste prodige.

Candidat pour diriger l’Académie Royale de Musique, le Chevalier Saint-Georges en est évincé lorsque deux chanteuses, Sophie Arnould et Rosalie Levasseur, ainsi qu’une danseuse, Marie-Madeleine Guimard, adressent un placet à la reine pour « représenter à Sa Majesté que leur honneur et la délicatesse de leur conscience ne leur permettraient jamais d’être soumises aux ordres d’un mulâtre ». Toutefois, on s’est demandé si les préjugés de ces dames furent la cause majeure du rejet de Saint-Georges à la direction de cette institution. Les divas auraient agi de la sorte pour sauvegarder leurs intérêts et leur désir de contrôler cette prestigieuse maison. Saint-Georges se proposait de réorganiser l’Opéra et les réformes qu’il n’aurait probablement pas manqué d’apporter auraient fait craindre à ces dames d’être supplantées par de nouvelles recrues.
Puisque l’on récusait Saint-George, à ses yeux le candidat le plus valeureux, Louis XVI, mis au fait de cette cabale, lui rend hommage en ne nommant personne. Puis, heureuse compensation, Madame de Montesson, l’épouse du duc d’Orléans, confie à Saint-Georges la direction de son théâtre privé et lui demande d’être le maître de cérémonie de son salon. En outre, Saint-George devient l’un des familiers de Marie-Antoinette. Saint-George dirigea l’orchestre des Amateurs et composa de nombreux concertos pour violon, des quatuors à cordes, des symphonies concertantes.
À la Révolution, Saint-George s’installa à Lille et s’engagea dans la Garde nationale avec le grade de capitaine. Le 7 septembre 1792, il devint colonel de la légion franche des Américains et du Midi, en partie composée d’Afro-Antillais ; il y fit nommer lieutenant-colonel son protégé Alexandre Dumas, futur général et père de l’écrivain. La Légion se forma à Laon avant de rejoindre Lille et l’armée du Nord sous la nouvelle désignation de 13e régiment de chasseurs à cheval où elle fut engagée dans les combats contre les Autrichiens.
Plusieurs fois dénoncé et accusé de royalisme — notamment au moment de la trahison de Dumouriez — le chevalier fut destitué de son commandement par Bouchotte, ministre de la Guerre. Le 4 novembre 1793, il fut arrêté à Château-Thierry, malgré le soutien de la municipalité. Incarcéré d’abord à Chantilly, puis au château d’Hondainville (Oise) il fut enfin libéré, après presque une année de détention, par ordre du Comité de sûreté générale. Tombant sous le coup d’une loi visant à épurer l’armée de ses officiers royalistes après l’insurrection de Vendémiaire (octobre 1795), il fut définitivement révoqué.
Une légende affirme que le chevalier de Saint-George se serait rendu de 1795 à 1797 à Saint-Domingue où il aurait rencontré Toussaint Louverture. Il est mort à Paris le 10 juin 1799 d’une infection de la vessie consécutive à une blessure reçue à la jambe durant la Révolution. Membre de la célèbre Loge des Neuf Sœurs du Grand Orient de France, il fut sans doute l’un des rares anciens esclaves à être reçu maçon.
Saint-George connût une deuxième mort quand le général Bonaparte, premier consul de la première République française (et non pas encore l’empereur Napoléon Ier), après avoir rétabli illégalement l’esclavage aux Antilles le 20 mai 1802, fit brûler toutes ses œuvres le même jour. Napoléon Ier interdit par la suite aux « noirs et gens de couleur » l’entrée à l’armée (29 mai 1802), l’accès au territoire métropolitain (2 juillet 1802) et les mariages entrent les Noirs et les Blancs (8 janvier 1803). La destruction de ses œuvres plus les lois raciales qui furent édictées par la suite ont conduit à l’oubli total de Saint-George.
Saint-George revint à la mode à l’époque romantique, et fut notamment cité par Balzac, Alexandre Dumas et surtout le dandy Édouard Roger de Bully (dit Roger de Beauvoir) qui lui consacra un roman adapté au théâtre. En décembre 2001, la rue Richepanse (du nom du général ayant rétabli l’esclavage à la Guadeloupe sur ordre de Bonaparte) partagée entre le 1er arrondissement de Paris (numéros pairs) et le 8e arrondissement de Paris (numéros impairs), a été débaptisée pour devenir la rue du Chevalier-de-Saint-George.
Sur l’habitation de Clairfontaine, on peut découvrir la pierre où est gravée l’année de la fondation du lieu (1713), le cachot d’esclaves se trouvant sous le sucrerie, et les vestiges de la cheminée, datée du 15 octobre 1867.

V. HABITATION CAMPRY

L’habitation Campry (Baillif) est célèbre pour être le lieu où naît le 18 décembre 1873 Gratien Candace, député de la Guadeloupe de 1912 à 1942 et Sous-Secrétaire d’Etat aux Colonies de juin 1932 à janvier 1933.
Né d’une famille de propriétaires terriens, Gratien Candace se montra dès l’enfance exceptionnellement travailleur et doué. Son acharnement au travail était cité en exemple à ses camarades de Basse-Terre lorsque, jeune étudiant de 16 ans, il se préparait à l’enseignement. Il débuta à 18 ans comme instituteur dans une petite commune de la Guadeloupe. Très vite, les inspecteurs le distinguèrent. Il fut d’abord désigné comme secrétaire d’inspection, puis, se ralliant aux conseils de ses supérieurs, il vint en métropole afin d’y poursuivre ses études.

Tout au long de sa carrière, Gratien Candace, développe des compétences multiples, diversifiées, reconnues qui le conduisent aux plus hautes responsabilités gouvernementales, industrielles et pédagogiques : instituteur, professeur de biologie dans l’enseignement professionnel, député, délégué au Conseil Supérieur des colonies, vice-président de la Chambre des députés et Secrétaire d’Etat aux Colonies, membre du cabinet de René Viviani dans le premier ministère du Travail. Gratien Candace est mort le 11 avril 1953 à Lormaye (Eure-et-Loir).

L’habitation Campry abrite aujourd’hui un atelier de fabrication du pain et du manioc, atelier de vannerie, un atelier gro tanbou (frappe et résonances), un atelier rimèd razié, des danses traditionnelles, et des projections de films et diaporamas sur le patrimoine local.

Pascal Gbikpi

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