LA VOIX DES SANS VOIX Rencontre avec Steve GADET

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Steve Gadet est docteur en langues et littératures anglaises et enseignant à l’UAG. Il est l’auteur  de « La fusion de la culture hip-hop et du mouvement rastafari » (L’Harmattan, 2010) où il relate  l’historique et les conséquences des contacts entre la culture hip-hop et la culture rastafari. Le mouvement hip-hop est une réaction des laissés-pour-compte face à la politique du gouvernement  Reagan aux USA, de même que le mouvement rastafari était une réaction des « laissés-pour-compte »  pendant la période coloniale en Jamaïque.

1. Rap et reggae, musiques de résistance

Par un langage codé, un vocabulaire distinct, le rap et le reggae ont servi de support musical reflétant   les préoccupations et la vie de la diaspora noire aux Etats-Unis et dans la Caraïbe. Ce sont des musiques qui tirent leur essence de la rue, des classes pauvres, de ceux qui souffrent des conséquences sociales du libéralisme et des conditions d’existence au sein de la société où ils vivent. Elles expriment une réaction face à la décomposition sociale environnante (enclavement géographique, destruction de la cellule familiale, violences urbaines, économie souterraine, chômage, politique ségrégative). Elles ont servi de moyen d’adaptation aux conditions de vie précaires et hostiles. Le reggae et le rap ont  répondu à plusieurs besoins similaires au sein des communautés afro-américaine et afro-jamaïcaine :

le besoin d’être entendu et de transmettre une histoire et des valeurs, les protestations et les espoirs.Le reggae a été le cri des masses pauvres noires de la Jamaïque criant leur misère mais affirmant en même temps l’existence d’un être spirituel plus grand que les hommes. En défaisant les fondations de la culture dominante, le reggae a été un instrument révolutionnaire. Le rap, tout comme la lutte pour les droits civiques, a confronté l’Amérique à une réalité violente et injuste qu’elle s’efforçait de cacher au fond des quartiers noirs. Ces musiques légitiment deux mouvements de conscience qui mettent au centre l’expérience du peuple noir et la transforment, grâce aux images utilisées, d’une expérience singulière en une

expérience universelle. Les peuples opprimés dans les autres parties du monde peuvent alors s’identifier à leurs revendications et étancher leur soif de dignité. Le rappeur et le chanteur reggae sont des conteurs, des journalistes du ghetto qui, à l’instar des griots africains, détiennent l’histoire de leurs communautés et l’actualité de leurs quartiers dans leur mémoire. Dans leurs textes, ils verbalisent les préoccupations de leurs semblables. Ils diffusent cette  actualité et la rendent accessible à tous. Conscients des préoccupations de leur communauté, ils peuvent l’avertir, la conseiller. Ils ont une véritable fonction éducative. L’art de la parole et la notion du verbe participent pleinement à la reconstruction de l’identité des participants. Le reggae et le rap  détiennent une clé pour comprendre le monde des cultures dont ces musiques découlent et où elles sont immergées. Elles ont pour objectif d’éduquer et de transmettre des valeurs niées par les pouvoirs institutionnels.

2. Rap et reggae, langages de survie

Le rap et le reggae sont des langages de survie qui ont su retranscrire l’énergie de ceux qui composent  le bas de la société, leur volonté de réécrire l’histoire pour se redéfinir et se repositionner dans l’Amérique anglophone. Ces musiques sont une revendication pour une réhabilitation de l’histoire du  peuple noir au sein de sociétés où il a été renié, aliéné, passé sous silence.

Ces deux musiques s’insurgent contre le matérialisme et le capitalisme sauvage, et les effets négatifs de la politique économique et sociale des gouvernements en place. Elles invitent la société à s’émanciper des objectifs matérialistes qui régissent la société et à viser des objectifs plus nobles. Elles  prônent la libération mentale et psychologique, et donc la remise en question de l’ordre établi et de  l’image qu’il donne des minorités. Ces musiques se nourrissent de religion et de la présence d’un être  divin qui doit être révéré. Ce sont des musiques de résistance à un ordre qui pillent les ressources de la  planète et détruit l’homme. Si ces musiques sont nées de l’expérience d’exclusion et de négation des communautés noires, elles s’adressent aujourd’hui à l’ensemble de la société. Elles revalorisent l’ensemble des pauvres et des minorités. Leurs commentaires sociaux s’adressent aux plus jeunes afin de les motiver et les conseiller  sur les choix de vie à faire. Elles encouragent l’estime de soi, l’esprit d’entreprise, le respect de  l’environnement. Elles amènent à s’interroger sur sa propre vie, à faire un travail sur soi-même et à exprimer une créativité inexploitée. Elles mettent en cause les stéréotypes sur la communuaté noire  (violence, drogue, …) et renvoit la culture dominante à sa propre violence. Elles incarnent la fin des  exclusions et les modalités d’un nouveau vivre ensemble à l’échelle du monde.

On ne peut comprendre le 20è siècle sans ces deux musiques qui ont toutes deux commencé en étant  rejetées par la société dominante et sont aujourd’hui devenues des composantes prédominantes de  la vie culturelle de leurs deux régions de naissance ainsi que du reste du monde. Ces musiques sont  devenues une « culture du monde » et non plus une culture exclusivement aro-caribéenne et afro-américaine car le vent du capitalisme a dispersé les graines du mouvement dans la quasi-totalité des  pays du monde. Ces mouvements ont provoqué de puissantes transformations sociales. Perçus comme des menaces sociales, ils ont montré que la vraie menace est le système lui-même. Les musiques reggae et rap ont constitué un apport essentiel de la culture carribéenne à la culture du monde, Des révolutions haïtienne et cubaine au garveyisme en passant par José Marti, de la négritude à Franz Fanon, du mouvement rastafari à la créolité, la société caribéenne démontre ainsi sa capacité à innover sans cesse et à contribuer à l’enrichissement de la culture mondiale malgré sa petite taille et sa relative pauvreté économique

Pascal Gbikpi

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