Dépasser hier pour laisser place à demain : rencontre avec Marie-Louise Danchet

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DEPASSER HIER POUR LAISSER PLACE A DEMAIN

Rencontre avec Marie-Louise Danchet

Marie-Louise Danchet, agent administratif à la mairie du Moule et participante à de  nombreuses associations de la ville, est l’auteure de deux romans, « Mawy » et « Ida », au travers desquels elle nous invite à relire le passé afin de mieux le dépasser et construire l’avenir.

1. Mawy, l’Africaine

Mawy a grandi dans l’Afrique de ses pères, au milieu d’un peuple de fiers guerriers. Faite prisonnière et vendue, elle va connaître l’enfer de la traversée et vivre la tragédie des plantations. Seuls les souvenirs de sa terre natale vont l’aider à survivre : le temps des pluies durant lequel « confinés dans leurs huttes, les villageois, blottis les uns contre les autres,  attendent, les filles se coiffent, les garçons réparent les lances » ; le retour du beau temps quand « la terre laissait jaillir des milliers de plantes à fleurs, et même les baobabs daignaient enfin se réveiller et paresseusement, étalaient leurs feuilles et leurs fleurs » ; la connaissance des arbres et des plantes médicinales ; la garde du bétail et la conduite du troupeau (« traire les vaches, attacher les veaux ») ; « l’odeur des grains de mil fraîchement pilés, le feu de bois la nuit, la viande salée, le lait et les parfums que nous offrait généreusement le vent » ; la pierre placée au milieu du village où sont gravés « les périodes des grandes pluies, les naisances importantes, l’âge des plus braves, les évènements et les rites du village » ; les anciens qui « retrouvaient leur place sous le grand arbre de sagesse et de vérité » ; les supplications aux esprits et le culte des morts auxquels on apporte offrandes, victuailles et  souvenirs « pour que dans l’autre monde, ils se souviennent de nous » ; la préparation au  mariage (« pour avoir un bon époux, il faut être une bonne épouse toi-même ») ; etc.

Confrontée à cette vie vide d’humanité et faite d’une intolérable souffrance, Mawy se réfugie dans ses souvenirs : « les doux moments de mon existence me berçaient, les plaisirs et les joies de ma savane effaçaient toute trace de la souffrance que j’endurais, l’amour des  miens m’enlaçait si étroitement que la stupeur et le désespoir qui géraient mon quotidien, s’évaporaient sans laisser de trace ». Elle se réfère à la sagesse ancestrale de son Afrique natale (« chaque chose a une raison, il faut faire preuve de patience pour ne pas perdre raison ») et prie le ciel et les ancêtres. Puis, lentement, elle s’installe dans l’acceptation du  non retour : « J’avais compris qu’il fallait se faire à l’idée que personne ne retournerait là- bas, qu’il me fallait certainement oublier ma savane et mes souvenirs, les enfouir eux aussi dans les abîmes de mon être ». Elle comprend qu’elle n’a pas d’autre choix qu’ « oublier  pour faire place, pour faire face à tout ce qui ne manquerait pas d’arriver » tout en restant dans la résistance apprise des aïeux africains (« Ils m’avaient enseigné la résistance de mon  peuple, de ma savane lointaine ») et l’espérance (« L’espoir est un allié, il garde et protège  farouchement ton humanité »).

2. Ida, la Créole

Ida, la fille de Mawy, naît dans les Amériques et comprend qu’elle ne connaîtra jamais l’Afrique dont elle doit faire le deuil. Née sans les souvenirs de l’Afrique, elle doit se construire une nouvelle identité. Tandis qu’une partie d’elle-même appelle à la  rébellion, « mon autre partie cherche vainement à éviter la corruption, en oubliant la noire misère qui a permis son existence, pour embrasser cet appendice de liberté accroché loin là- bas, à l’horizon et se délecter de ce droit comme d’une récompense pour être ou ne pas être ».Ne pouvant plus s’accrocher à ce qu’elle a perdu, Ida n’a pas d’autre choix que de chercher à  se connaître afin de trouver le « point zéro », ce plancher d’où, avec toute la force contenue

dans ses jambes, elle se propulsera pour un nouveau départ. Comme les fondations sur lesquelles se construit une maison, tout homme a besoin de partir de ce « point zéro » à partir duquel il se crée une identité nouvelle, qui fera que nul ne pourra lui ravir ce que Dieu a promis à chacun, à savoir son droit à la vie et à la dignité. C’est à un vrai travail spirituel d’Ida s’attelle, le seul qui lui permettra d’apprendre à s’aimer et à aimer les autres.

3. Un triple travail

Ainsi, Marie-Louise Danchet nous appelle tous à un triple travail : culturel, mémoriel et spirituel. Culturel, en comprenant que l’Afrique est un grand peuple qui, grâce à ses

civilisations millénaires, a crû en son humanité et a su résisté à sa destruction. Mémoriel, en  consentant à accepter sereinement l’épreuve de l’avilissement et du dénuement de soi-même. Spirituel, en réalisant que nous sommes nés de la volonté de Dieu et non de celle de l’homme, et que donc ce que les hommes ont tenté de déshumaniser, il nous faut le réhumaniser, en nous mettant sous le regard de Dieu et en Le laissant nous reconstruire de l’intérieur.

Marie-Louise Danchet conclut : « Et si cette orgie de barbarie n’était qu’un moyen divin pour imposer la tolérance dans toute sa valeur et toute sa justesse. La patience n’est-elle pas l’essence même du divin ? Vu l’âge de l’humanité, trois, cinq cents ans, qu’est-ce ? Qu’est-ce pour une entité Maître de l’infini, nommée Eternité, deux, trois cent ans ? Le Mieux et la Raison n’appartiennent-ils pas à l’espérance ? Et si c’était tout simplement une volonté divine

que de doter l’humanité d’un nouveau type d’homme ! ». Ce nouveau type d’homme est celui  qui nous invite à sortir de la prison de tout ce qui réduit l’homme à sa couleur, son ethnie, sa culture, … et à devenir un véritable être humain, ouvert aux valeurs de l’universel et de l’Homme.

Pascal Gbikpi

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