LE SLAM EN CÔTE D’IVOIRE, TEMPS DE RENCONTRE ET DE PARTAGE

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LE SLAM EN CÔTE D’IVOIRE, TEMPS DE RENCONTRE ET DE PARTAGE

La finale du concours national de slam de Côte d’Ivoire, organisée ce samedi 9 décembre 2017 à l’Institut Goëthe d’Abidjan, a été l’occasion de constater l’immense talent littéraire et artistique des jeunes ivoiriens. Les six candidats en lice (C’Katcha, Nour le Poète, Hélène Beket, Guy Bazaré, Le Chirurgien des Mots, et Kong) ont mis le jury dans l’embarras tant ils rivalisaient d’habileté oratoire et scénique. Chacun avait trois minutes de performance pour un corps, une voix et des mots et la parole lui était donnée, avec ses mots, sa voix et sa voie. Pas d’uniformité mais au contraire une pluralité où le respect de chaque personnalité a primé.

 

  • Salimata

Chaque candidat devait déclamer deux textes, le premier sur la violence faite aux femmes, et le second sur les migrations transsahariennes. Bien qu’il soit impossible de rendre compte intégralement des joutes de mots qui ont jalonné la soirée, le texte « Salimata » de C’Katcha, arrivé deuxième derrière le vainqueur Guy Bazaré, nous donne un aperçu de la richesse poétique des œuvres présentées et de la force de leur message.

Poème « Salimata »

Elle voulait simplement tout dire, tout faire, tout fuir et gagner sa vie.

Elle voulait simplement s’envoler, s’éclipser, se cacher et voir son esprit grandir.

Elle est môme, mais déjà fiancée. Elle n’a plus de dignité. Sa vie est fade.

Salimata ne comprend plus la réaction du bon Dieu,

Comment accepter qu’on vende une môme à un être qui dans peu de temps dormira le sommeil des vieillards.

Son père lui dit : « Salimata, si tu refuses de mettre l’enfant de ton papa au dos

C’est l’enfant d’un singe que tu mettras au dos ».

Or son père, lui, il a tous ses membres au complet,

Mais il attend bien sage le prix de l’âge de sa fille.

C’est pourquoi Salimata voulait simplement tout dire, tout faire, tout fuir et gagner sa vie.

Elle voulait simplement s’envoler, s’éclipser, se cacher et voir son esprit grandir.

Assise contemplant la rue, Salimata cogite sans fin.

Depuis son excision jusqu’à son mariage le jeudi surprochain, elle ne comprend plus rien.

Elle pense à tout.

Mais pas de solution.

Elle regarde au tour. Elle regarde partout

Mais pas de solution.

Elle pleure son âme. Elle crie ses larmes

Mais pas de solution.

Elle sourit à peine. Et elle pense tellement.

Mais pas de solution.

Le mardi avant ce jeudi surprochain

Elle a rencontré Salimata dans la rue

Mot après phrases, Salimata la suit

Et le mercredi avant ce jeudi

Salimata et la dame dans un avion en partance pour un paradis.

Elle voulait simplement tout dire, tout faire, tout fuir et gagner sa vie.

Elle voulait simplement s’envoler, s’éclipser, se cacher et voir son esprit grandir.

Échapper à un mariage précoce à peine

Salimata souffre encore.

Violence sexuelle, physique, morale, psychichique, verbale,

Elle a perdu sa voix

Dans un pays où elle n’a pas de droits.

Servante le jour et servante la nuit

« Hé ! Le jour tu nous dis que tu veux rentrer chez toi, nous te laisserons tomber du haut du toi ».

Oh my God save your children.

Salimata pense à sa fin car elle ne comprend plus rien

Elle regarde au tour. Elle regarde partout.

Mais pas de solution.

Elle pleure son âme. Elle crie ses larmes.

Mais pas de solution.

Elle sourit à peine. Et elle pense tellement.

Mais pas de solution.

Or elle voulait simplement tout dire, tout faire, tout fuir et gagner sa vie.

Elle voulait simplement s’envoler, s’éclipser, se cacher et voir son esprit grandir.

Mais quelle déveine. Quelle scoumoune.

Salimata vit l’enfer dans le feu d’un paradis tout près de nous.

Tout près de vous.

  •  Histoire

La slam a été créé par Marc Kelly Smith, un poète américain, qui organise en 1986 un tournoi de poésie au Green Mill, un club de jazz situé dans un quartier défavorisé de Chicago. Le concours est ouvert à tous et les juges sont choisis au hasard dans le public, ce qui crée une véritable interactivité entre poètes, membres du jury et spectateurs. Ces rencontres, qui marquent le point de départ du succès mondial du slam, font voler en éclats les frontières et échelles de valeurs habituelles entre poètes traditionnels et poètes de la rue. On claque alors la porte (« to slam » en anglais) de l’ancien temps et on entre dans la nouvelle génération de poésie, moment de souffle et de sincérité, sans artifice ni masque. Le slam instaure une posture particulière par rapport au public. On ne slame pas pour soi mais pour, par et avec les autres. Le slam est une scène interactive. C’est de la poésie collective. Il y autant de définitions du slam qu’il y a de slameurs et de spectateurs des scènes slam. Il y a pourtant certaines règles à suivre : les textes doivent être dits a cappella et ne doivent pas excéder 3 minutes, la note la plus haute et la plus basse, attribuées par les juges, sont retirées et le score total est calculé sur les trois notes restantes.

  •  Temps de partage

Le slam est le temps de partager, loin des certitudes, un texte et des émotions. En plus d’être un véritable art, le slam est un moment de tolérance, d’écoute et de rencontre. En mariant poésie et spectacle interactif, le slam est le terrain d’expression idéal pour tous les poètes et toutes les formes de poésie. Il touche tous les publics, bien au-delà des cercles littéraires classiques. Nouvelle forme de poésie, le slam allie écriture, oralité et expression scénique. Le simple verbe et l’art déclamatoire deviennent un moyen de rendre la poésie plus vivante et de l’inscrire dans le présent. Tous les sujets peuvent être abordés, dans n’importe quel style, à condition d’utiliser ses propres textes. Sur de nombreuses scènes publiques, les slameurs abordent les problèmes liés au quotidien des grandes villes. Le slam devient ainsi un mouvement social contestataire permettant aux jeunes se sentant délaissés d’exprimer leur mal-être. Ailleurs en revanche, les thèmes abordés sont plus universels, avec en premier lieu, évidemment, l’amour.

  •  Outil pour le langage

En Côte d’Ivoire, comme dans de nombreux pays du monde, le slam a investi les établissements scolaires, médiathèques et centres culturels. Grâce au slam, les élèves sont invités à surmonter leur inhibition face à l’écriture et à découvrir la poésie. Les allitérations, les assonances, les champs lexicaux… permettent de mieux comprendre ce que signifie la « musique des mots ». Certains professeurs de français qui décriaient le slam, s’en servent pour intéresser les élèves à la langue et à la poésie, en les sensibilisant à la force de la mise en forme du langage. Les professeurs peuvent inciter à étudier des poèmes classiques, en les slamant. Le slam est en train de devenir un véritable partenaire des enseignants de la langue française.

  • Croisement et convergence

Le slam émerge comme nouvelle discipline artistique, comme un art basé sur des formes d’écritures et de déclamations poétiques renouvelées. La poésie slam est un croisement, une convergence de sources et de pratiques différentes. Pour les slameurs, la poésie n’est pas un vieil objet, une antiquité. Elle suit son temps en se déjouant de l’actualité. Elle est dynamique en ce sens qu’elle fait circuler l’énergie des mots, une énergie renouvelable. Le slam est un mouvement culturel à part entière, au même titre que le romantisme ou le surréalisme. De plus, il ne renie pas ses racines. Poète oral contemporain, héritier de l’Antiquité, le slameur redevient le fabriquant de vers qui scande ses mots pour charmer son auditoire.

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