4è congrès des écrivains de la Caraïbe

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4é CONGRES DES ECRIVAINS DE LA CARAÏBE La Créole Beach, 15 au 18 avril 2015

Compte rendu de Pascal Gbikpi

(toutes les photos sont de P. Gbikpi)

Du 15 au 18 avril 2015, la quatrième édition du congrès des écrivains de la Caraîbe s’est déroulée à l’hôtel Créole Beach au Gosier, le thème étant « Voyages, migrations, diasporas dans les littératures caribéennes ». Une soixantaine d’auteurs de diverses expressions étaient présents : – francophones : Joël des Rosiers (Haïti), Lyonel Trouillot (Haïti), James Noël (Haïti), Evains Weche (Haïti), Yannick Lahens (Haïti), Rodney Saint-Eloi (Haïti), Dominique Batraville (Haïti), Renaud Govain (Haïti), Alexandre Alaric (Martinique), Patricia Donatien (Martinique), Manuel Norvat (Martinique), Liliane Fardin (Martinique), Rodolphe Solbiac (Martinique), Simone Schwartz-Bart (Guadeloupe), Daniel Maximin (Guadeloupe), Jacky Dahomay (Guadeloupe), Max Jeanne (Guadeloupe), Gisèle Pineau (Guadeloupe), Roger Toumson (Guadeloupe), Willy Alante Lima (Guadeloupe), Birman Seytor (Guadeloupe), Steve Gadet (Guadeloupe), Georges Cocks (Guadeloupe), Didier Mannette (Guadeloupe), Djant M’Bitako (Guadeloupe), Max Etna (Guadeloupe), Max Edinval (Guadeloupe), Alain Foix (Guadeloupe). – anglophones : Mac Donald Dixon (Sainte Lucie), John Lee (Ste Lucie), Vladimir Lucien (Ste Lucien), Earl Lovelace (Trinidad), Elisabeth Nunez (Trinidad), Lawrence Scott (Trinidad), Beverley East (Jamaïque), Kwame Dawes (Jamaïque), JohnRobert Edison Sandiford (Barbades), Schuyler Esprit (Dominique), Ruel Johnson (Guyana), Montague kobbe (Anguilla), Oony Kempadoo (Grenade). – hispanophones : Eduardo Lalo (Porto Rico), Griselle Merced (Porto Rico), Emilia Pereyra (Saint Domingue), Delia Blanco (Saint Domingue), Ariel Camejo (Cuba), Lili Mendoza (Panama), Andrès Bansart (Vénézuela), Conchita Di Meo (Colombie).

Parmi les très nombreux exposés, j’ai choisi d’en rapporter neuf, à savoir ceux de : Joël Des Rosiers (Haïti), Jacky Dahomay (Guadeloupe), Jean-Michel Cusset (Guadeloupe), Ronald Selbonne (Guadeloupe), Alexandre Alaric (Martinique), Simone Schwartz-Bart (Guadeloupe), Patricia Donatien (Martinique), Delia Blanco (République Dominicaine), Lyonel Trouillot (Haïti).

 

 

 

 

 

 

1. Joël des Rosiers (Haïti)
« Metaspora », le dernier ouvrage de Joël Des Rosiers, est un concept complémentaire aux études  sur la diaspora. Joël Des Rosiers écrivait dans Théories caraïbes que «chaque écrivain, aux prises  avec sa propre mythologie, oeuvre pour forger des espaces postnationaux au sein du mouvement  général des peuples». Il nomme ces espaces «métasporiques » au lieu de diasporiques, à partir des contradictions liées à l’origine, au sexe, à la différence. Trouvant le vocable «diaspora» quelque peu galvaudé, Des Rosiers a ressenti la nécessité de proposer le terme «métaspora».
L’auteur cherche accréditer l’idée que l’écrivain enrichit son intimité avec les lieux où il vit et où il a vécu, tout en gardant une conscience aiguë de sa condition itinérante. Lieux, visages, objets :
autant de patries intimes qu’il transporte partout avec lui. C’est ce mouvement d’espérance en la primauté du voyage qui conduit ses contemporains et lui-même à se constituer en métaspora, c’està-dire à devenir les cosmopolites de leur propre culture, les étrangers à leur propre nation. Le voyage, en plus d’être une expérience du don et de l’émotion, est aussi une catégorie esthétique, un emblème du Beau.

Si le concept de diaspora est un retour des souvenirs, réels ou fantasmatiques, celui de métaspora cherche à rendre l’avenir présent. Dans « Metaspora », Des Rosiers consacre un chapitre entier à l’art de Wangechi Mutu, artiste kenyane, qu’il n’hésite pas à comparer à Jean-Michel Basquiat. Vivant aux USA, Wangechi Mutu a entraîné, par ses peintures, une refondation des canons de la beauté féminine. Travaillant sur le regard des femmes et sur des croquis coloniaux des corps des femmes, Wangechi déconstruit le regard colonial sur la femme noire. L’un de ses projets les plus récents est une peinture intitulée « She seas dance » qui représente le regard voilé d’une femme, peut-être originaire d’Afrique ou du Moyen-Orient. Ce regard féminin, métaphore de la vision et du masque, nous montre que nous avançons tous masqués. Cet anonymat est la forme de la plus subtile résistance,
une radicale résistance.
Dans « Metaspora », Joël Des Rosiers évoque longuement une autre figure, celle de Wyclef Jean, chanteur hip-hop né à Haïti et arrivé à Brooklyn à l’âge de neuf ans. Candidat à la présidence  d’Haïti, Wyclef Jean est ainsi passé de l’esthétique à la politique. Dans « Purpose », l’autofiction que publie Wclef Jean, le thème de la rébellion est omniprésent.

Joël des Rosiers affirme qu’il pense et écrit en poète, celui qui part d’une absence et pour qui les mots ont une matérialité. Le poète peut en effet créer des accouplements, entre préfixes et mots  substantifs, ayant un rapport à l’espoir, la postérité, l’ensemencement, le blé, le grain, … Le poète pense à produire, non pas du sens, mais une contestation du sens. Il y a donc autre chose qui peut nous permettre de penser le vrai. Les choses dépassent leur nomation. Le poète est allusif plutôt que
scientifique. Il évite de vider les choses de leur sens en les nommant. Il y a de nouveaux thèmes et de nouveaux procédés littéraires. Ainsi, les rappeurs sont tout à fait des écrivains. Ils font un travail référentiel, compulsent les bibliothèque, … pour asseoir leur oralité sur l’écrit.

2. Jacky Dahomay (Guadeloupe)
Jacky Dahomay (Guadeloupe) affirme que, quelque soit soit ses mérites, l’habitation première de  l’homme est poétique. Nous sommes condamnés à habiter en poète. Le monde nous atteint dans 2 sur 14 notre lieu. Le monde mondialisé vient nous trouver, nous changer et nous décérébrer. Le sens collectif se rétrécit et on en vient des identités plus primaires, avec la radicalisation des religions. Il y a une évolution des identités. Il y a un retour à la négritude, mais pas celui de Césaire. Chez Césaire, il n’y a pas d’intégrisme, pas de réduction identitaire. Jacky Dahomay cite Christine
Chivallon qui constate que plus la France fait des mémoires, plus on entre dans le « délire mémoriel », la dette infinie qui ne pourra jamais s’apaiser. Ainsi, la mémoire risque d’être mortifère et de ne pas nous orienter vers l’avenir.

On assiste à une nouvelle forme de littérature rebelle et plus engagée, avec des poètes, slameurs, … qui produisent beaucoup de textes engagés. Les rappeurs
occupent une place de plus en plus importante, et montrent que, dans la création actuelle, il n’y a pas que la littérature et la poésie. Les rappeurs disent quelque chose du monde et leur expérience du monde changeant. Après la mutation du 16è siècle
(Montaigne, Cervantès, …), notre société civile doit se développer et aider l’homme en panne d’une libération, cet homme qui essaie de nommer l’absence. C’est dans ce sens que l’art et la littérature de la Caraïbe se développe pour dire quelque chose de notre expérience naturelle du monde.

3. Jean-Michel Cusset (Guadeloupe)

 

Jean Michel Cusset (Guadeloupe) fait valoir que le caribéen porte le  chronotop avec lui. Il part de l’Inde, d’Afrique, des Amériques, voyage et revient. Un double mouvement migratoire a contribué, pour le premier, au peuplement, depuis l’Afrique et l’ Asie, des sociétés créoles des Amériques, et pour le second, a conduit les populations du Sud de l’hémisphère américain et des Caraïbes à migrer vers le Nord, à savoir les Etats-Unis. Le retour irrigue celui ci qui est resté et fait évoluer la société créole vers un ailleurs. Tout cela irrigue le champ social et culturel des Caraïbes qui revendiquent davantage de droits et de liberté d’expression. On se trouve dans une transition entre modernité et post-modernité.

4. Ronald Selbonne (Guadeloupe)

Ronald Selbonne rend hommage à Maryse Condé et précise d’emblée qu’elle ne se situe pas dans les attendus de libertinage de Depestre, par exemple. Le libertin est celui qui s’affranchit des dogmes et doctrines et revendique une jouissance immédiate, la liberté des idées et des moeurs, la liberté de pensée dans le non conformisme. Comme le dit Michel Onfray : « la liberté ose penser librement pour vivre librement ». Chez les baroques, le libertin est sceptique, crée une raison moderne et propose une sagesse existentielle. Rien de cela dans l’oeuvre romanesque de Maryse Condé qui a porté sur son dos sa case coquielle à travers les pays qu’elle a visités et avoue ne plus parcourir le monde pour se découvrir ou découvrir son identité racine, identité mangrove, nègre, rhizome, tout monde, … s’affichant comme des cailles ou des sémaphores. Maryse Condé aura su garder le cap sur l’essentiel : la production littéraire plus que les discours sur le littéraire. Sa longue création et ses nombreux prix sont des témoins de ses choix. Pour elle, l’identité collective n’existe pas, il n’y a que des individus. A l’instar d’un de son maître Hermann Broch (Les Somnambules), Kundera conçoit le roman comme la forme suprême de la connaissance du monde : « Le roman n’est pas une confession de l’auteur, mais une exploration de ce qu’est la vie humaine dans le piège qu’est devenu le monde ».

Maryse Condé a le mérite d’avoir su jouer la complexité contre la complexification, l’individualité contre l’individualisme. Son oeuvre est une écriture synopsis et à suspension. Synopsis car pour M.Condé, comme pour Alejo Carpentier, nous avons plus de choses à dire avec les personnages. Récit à suspension, car M. Condé ne propose pas de réponse et laisse le lecteur remplir les blancs et les points de suspension, lieu d’exercice d’une grande ironie. Pour Maryse Condé, la négritude serait notre classicisme et notre réalisme. La libre parole a succédé au cri de la liberté. Dans Kaliban, pièce de Césaire, réécrite à partir de « La Tempête » de Shakespeare, le dernier mot est liberté. La tempête est passée, le beau temps est arrivé, mais il y a toujours des tempêtes dans et par les mots de l’île. Les personnages de M. Condé ne sont pas des réponses mais des questions posées et déposées. Le nomadisme des personnages, le refus de la nostalgie du temps, l’ouverture au monde,
la contextualité, … sont les thèmes chers à Maryse Condé. La presse l’a traitée de « nomade inconvenante » ou encore d’« écrivaine continent ». Elle-même ne se voit comme ni l’un ni l’autre.
Elle rejette les idées reçues et les étiquettes. Soufrière ou mangrove, pour elle, c’est un. Femme cannibale ou belle créole, c’est un car tous les écrivains font subir des métamorphoses à ceux qu’ils voient. Maryse Condé effectue des voyages fictionnels auxquels elle nous convie. A travers ses voyages, migrations, diasporas, …, elle nous fait franchir les frontières ethniques et géographiques.
Maryse Condé propose une cartographie de l’existence guidée par la liberté, loin des dogmes et des dogmatiques. Ses personnages « mêlés » nous proposent à penser la complexité. Naipaul invite les romanciers antillairs à ne pas se préoccuper de trahir leur peuple. Maryse Condé a légué à la médiathèque Caraïbes 1 500 livres dont tous les libres de Naipaul. M. Condé parle sans injonction, sans jamais heurter la liberté. Octavio Paz, prix nobel mexicai, dit que « contre le silence et le vacarme, j’invente la parole, liberté qui s’invente elle-même et m’invente à son tour ». Libre parole de Maryse Condé fait penser à l’archipel des Vanuatou, où existe un mythe, celui de l’arbre et de la pirogue. Tout homme est tiraillé entre la pirogue (voyage) et l’arbre (enracinement). Les hommes tanguent entre les deux jusqu’au jour où ils comprennent que la pirogue est faite à partir de l’arbre.
Pour M. Condé, l’arbre caraïbe mène sa barque sans fard car elle sait la vie scélérate, pour nous qui traversons ce pays mangrove, dans cette pirogue qui fait mentir l’histoire. Les gens heureux n’ont pas de récit. L’écrivain qui veut mettre en lumière les moeurs existentiels de l’individu doit traiter de ses problèmes, en étant conscient que ce n’est pas parce qu’un écrivain traite d’un problème qu’il vit ce problème.
5. Alexandre Alaric (Martinique)

Alexandre ALARIC (Martinique) (3) (Medium) (Small)Alexandre Alaric (Martinique) a beaucoup écrit sur le thème des migrations et des migrants. Pour lui, les paroles décrivent la beauté du monde, la morale, l’éthique, la résistance contre nos propres fragilités. C’est à travers nos fragilités et dans nos difficultés que nous trouvons la force pour nous affirmer.
L’ensemble des écritures caribéennes sont une écho-poétique où on retrouve pluisieurs choses. Tout d’abord, il n’y a pas d’écriture caribéenne qui ne soit une autobiographie, les écrivains se demandant : comment puis-je devenir écrivain ?
Ensuite, le sens de la parole est une écriture de la migration et du voyage, avec une dramaturgie de leurs personnages et de la migration. C’est aussi une description des paysages qui met en cause l’écrivain lui-même, cela de façon éclatante dans la jubilation devant la beauté des lieux, comme chez Glissant. Ensuite, il y a la dimension du travail des langues comme la genèse d’un langage commun caribéen, la dimension jubilatoire de la présence des lieux (Simone Swartz-Bart), les descriptions paysagères (Glissant), … Quatre monuments de la littérature caribéenne sont à considérer : « Cahier d’un retour au pays natal » d’Aimé Césaire ; « Omeros » de Derek Walcott ; « Sartorius : le roman des Batoutos » d’Edouard Glissant ; « Les métamorphoses de l’oiseau schizophone » de Frankétienne. Il y a dans ces quatre oeuvres une synthèse de quatre dimensions :

l’identité, la provenance migrante et la structure migratoire et archipélique de notre vie ; la dimension paysagère, comme si nous devions faire l’apprentissage de nos propres paysages, apprendre à les vivre, les connaître et les dire ; un travail des langues et sur la langue, qui est le fondement et l’identité même de l’écriture caribéenne et donne à nos oeuvres cette allure inaugurale ;
enfin une dimension politique qui se retrouve dans le système anaphonique de la résistance de nos écrivains, une rencontre d’une dimension politique de la langue, une inhabituelle pratique des assonances comme une invite au chant. Quand on considère les oeuvres de Frankétienne, Glissant, Dereck Walcott et Aimé Crésaire, il y a une pratique de la langue qui se donne de façon déroutante.
Il y a des anagrammes, des mots sous les mots. Daniel Maximin dit qu’on devrait plutôt penser les langues sous les langues. Chez l’écrivain caribéen, il y a de multiples langues, une volonté précise ou un travail de leur inconscient. La possibilité de la dramaturgie orphique ou de la migration se noue, comme un incessant passage de lieu en lieu, de personne en personne, d’île en île, d’utopie en
hétérotopie, … Ce sont les chorales où se dessinent les communautés à venir de nos peuples caribéens. La dimension anaphonique qu’on peut étendre à tous les arts, se rencontre dans les corps sous les corps, le temps sous les temps. Pour comprendre nos grands écrivains, nous devons être sensibles à cette dérobade des langues sous les langues. Si ces écrivains entrent dans ce système anaphonique de la résistance, c’est parce qu’ils sont confrontés à l’énigme de l’énonciation c’est-à dire une énonciation sans principe d’énoncer. Ils l’ont rencontrée, la gorge ensanglantée, avec le hoquet, cette parole qui ne trouve pas son phréage corporel pour dire son incapacité à dire.
L’écriture caribéenne est une écriture de libération de la parole qui se fait d’une manière jubilatoire.
Tout être qui se prédestine à l’écriture doit consentir à l’énigme et la jubilation c’est-à-dire à ne pas savoir où l’on va, ce que l’on écrit. L’écriture est une circularité et un enroulement de trois cercles :
le cercle de la recherche d’un nom, le cercle du nom d’eux, nom du peuple où on se structure, et le cercle du nom des lieux. On a donc la circularité du nom d’un, du nom d’eux et du nom des lieux.

6. Simone Schwartz-Bart (Guadeloupe)

Simone Schwartz-Bart (Guadeloupe) part de notre appartenance à quelque chose de commun. Nous sommes au coeur de nos coeurs et des oeuvres diasporiques de nos pays.
Le but de ce congrès est de nous aider à percevoir le lien qui nous unit les uns aux autres, cependant que notre désir de participation au tout monde subsiste. La fiction nous entraîne incidieusement car elle nous parle de face et non de biais. La polémique ne transforme pas l’être. Parce qu’elle ne contient nulle imposition, la fiction nous change. Nulle théorie intellectuelle ou métaphysique ne rendra sa cohérence au monde. L’exil est la dimension ontologique du monde. Pour les caribéens, la notion d’exil et de voyage est une composante de notre identité. Obligés de douter, plongés dans l’incertitude, nous sommes cernés par la tentation du nihilisme et la tentation de l’inconnu, avec une obligation au monde et au miracle. Cette ultime alternative nous a séduit. Le vrai voyage n’est pas de changer de lieu mais de changer nos yeux, symbole fascinant par sa nécessité et son impossibilité.

Le sens caché doit être perceptible et est révélateur par le biais d’autre chose. Nous avons marroné et repensé le paysage antillais. Nommer le paysage antillais, c’est déjà un marronage. La véritable profondeur des Antilles, c’est le déchirement, identité collective qu’on nous impute. Il s’agit de montrer les individus. Pour les occidentaux, nous apparaissons plutôt comme des entités collectives
que comme des personnes particulières. Ces congrès d’écrivains carribéens nous permettent de nous forger nos propres référents et d’aller au fond de la critique afin qu’elle soit plus signifiante et rende compte de ce que nous voulons traduire.

7. Patricia Donatien (Martinique)

Patricia Donatien (Martinique) reconnaît que, dans notre archipel éparpillé, il n’y a pas d’évacuation aisée. Conception créatrice complexe, la littérature caribéenne arpente sans cesse les déclinaisons du voyage dans la cale, immense tombeau, blessure première qui brise le corps et l’âme qu’il faut guérir, problématique prégnante qui définit l’écriture caribéenne. Le voyage et la cale servent à l’élaboration du mythe, à la base de toute littérature. La cale palpite des réponses et des langues gutturales, le besoin charnel de se comprendre. La respiration et le ventre de cette littérature caribéenne traduisent le besoin de se comprendre, d’échanger nos mots paroles et nos mots douleur, le désir de vaincre les ténèbres, de sortir de ce ventre malsain. Les caribéens sont des voix multiples qui chantent en choeur.

8. Delia Blanco (République Dominicaine)
Delia BLANCO (St-Domingue) (Medium) (Small)Delia Blanco (République Dominicaine) parle de la relation à la mémoire et à l’oubli. Tous les pays de la Caraïbe, ont vécu les mêmes épisodes de la traite et de l’abolition. Pourtant, il y a eu des choix dans la mémoire et des choix dans l’oubli. « Le Royaume de ce monde » (El reino de este mundo), roman publié en 1949 par l’auteur cubain Alejo Carpentier, raconte l’histoire d’Haïti, avant, pendant et après la révolution haïtienne, vue par le principal protagoniste, Ti Noel, qui sert de fil conducteur du roman. Le travail de Carpentier naît de son désir de retracer les racines et  l’histoire du Nouveau Monde, sans rien en occulter. Juan Bosch, dans son ouvrage « El Caribe, frontera imperial » écrit l’histoire de la République Dominicaine et fait la narration de la révolution d’Haïti avec les « libertarodes del espititu » comme Mackendal, …. Avec ces auteurs, la grande histoire peut devenir conte. On a là tous ces moments et différences dans les processus et moments historiques des indépendances et la prise en compte des identités. La littérature de la République  Dominicaine oblige à aller vers l’histoire, tant, dans ce pays, on nie les processus d’esclavage et d’abolition. Le moment haïtien de la République Dominicaine (1922 à 1944) est une mémoire qui
attise d’autres mémoires. Qu’a-t-on voulu oublier ou voulu faire oublier de cette épopée haïtienne ? Trujillo se passait de la poudre de riz au visage pour faire oublier sa négritude. Le retour à la mémoire se fait à travers la littérature où on retrouve la mémoire de l’esclavage. En République Dominicaine, la littérature dévoile et oblige l’histoire. Cette obligation de la littérature se retrouve à partir des années 60 dans l’oeuvre de Manuel del Cabral (1907-1999). Sa poésie incantatoire porte sur la frontière et veut dévoiler la situation du haïtien. Dans nos errances libertaires et de résistance, tous les peuples de la Caraïbe n’ont pas trouvé le même moment et le même sentier libératoire. Les femmes écrivaines nous ramènent elles aussi la mémoire, la conscience. C’est le cas d’Isabelle Allende qui dans son roman « Une île sous la mer » raconte l’histoire d’une esclave partie à St Domingue puis en Louisiane. On rejoint ainsi la Caraïbe du Mississipi, de Faulkner et de Gabriel Marques. Seule la littérature peut ramener la mémoire. L’histoire a des oublis auxquels la littérature peut pallier.

9. Lyonel Trouillot (Haïti)

Lyonel Trouillot (Haïti) a plusieurs points d’interrogation. Tout d’abord, il dit sa gêne dans la thématique de ce congrès où il voit une injonction intellectuelle, une commande éditoriale faite aux écrivains et écritures de la Caraïbe d’ajouter un ailleurs au lieu où ils peuvent être plantés, comme si être haïtien, guadeloupéen, .. était le signe d’une insuffisance littéraire, comme s’il fallait un voyage en avion comme métaphore d’un surplus à une origine frappée de déficience. Ensuite, pour Lyonel Trouillot, le thème du voyage doit être celui d’un autre lieu, une distance qui se creuse entre les élites voyageuses et une majorité haïtienne qui ne voyagera jamais. La condition de l’écrivain devient exceptionnelle, sa renommée internationale et son revenu lui imposant cet écart. L’errance va bien à nos livres et à nos congrès. Sommes-nous entrain de devenir l’autre de ceux dont nous prétendons parler ? Le troisième point évoqué par Lyonel
Trouillot est une question : Les thèmes du voyage et des migrations sont-ils aussi récurrents que nous le prétendons ? Les histoires littéraires supposent des saisies spécifiques du rapport à la mémoire. Les thèmes de la révolte et de la victoire sont aussi importants que ceux de la cale. On peut douter qu’il existe une unité mémorielle de la Caraïbe. On a plutôt des constructions avec des idéologies récurrentes. Le quatrième point de l’écrivain concerne les pratiques d’exploration et d’exclusion qui sont alimentées par des racismes alimentés eux-mêmes par le capitalisme. Il y a un regard à porter, un témoignage à rendre sur la condition des travailleurs haïtiens en République Dominicaine. Est-ce trop demander à la littérature de parler aussi de cela ? Enfin, Lyonel Trouillot fait valoir qu’une meilleure circulation de la production littéraire de la Caraïbe dans la Caraïbe, l’occurrence et la spécificité de nos littératures, nous amènent à penser à un vrai échange dans nos
communautés, sans une bénédiction de nos centres. Il faut chercher à comprendre et aimer nos voisins de la République Dominicaine. La littérature pourrait nous aider à saisir cette humanité.
Pourtant, il n’y a pas de littérature dominicaine en Haïti. Pensons aussi à ces absences quand nous pensons à ces voyages.

 Les autres auteurs présents au 4è congrès des écrivains de la Caraïbe (15-18 avril 2015,
Gosier)

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